"2018, Saint Alban sur Roche, 20h00. Une salle des fêtes. Soudain, un comédien entre sur la scène comme un coup de feu. En une seconde, la salle se remplit d'un tonnerre d'applaudissements suivi presque immédiatement par une vague de rires qui se répète, encore et encore. Au même instant, mon appareil photo à la main, je rôde discrètement au milieu du public.Totalement trempé, le comédien salue les trente spectateurs, sort de scène en direction de sa loge, attrape une serviette et s'écroule sur un canapé. Le regard au loin, il s'imagine dans un comedy club de Californie devant des milliers de personnes. Puis, je le vois s'adresser à Robin Williams qui, du poster accroché au mur, semble l'observer d'un oeil malicieux. Il en est persuadé, son idole va lui montrer la route du succès... Et moi, son photographe mais aussi ami, je vais vous raconter sa carrière que j'appelerai une « rollercoaster life »."
« Robin Williams : a singular portrait, 1986-2002», c'est le nom de ce livre de photos et de témoignages réalisé par le photographe américain Arthur Grace que je tiens entre les mains, un jour d'octobre 2016 à San Francisco. Je viens à l'instant de tomber sur ce livre parlant de mon acteur préféré au sein d'une librairie située dans la ville de cœur de mon acteur préféré : bref, beaucoup de coïncidences. A partir de ce moment-là, l'idée de créer un spectacle autour de cet acteur avec lequel j'ai grandis ne me quitte plus : Hook ou la revanche du Capitaine Crochet, Madame Doubtfire, Jumanji, Jack... En fait, tout a vraiment commencé sur l'écran de télévision de ma maison d'enfance, où chacun de ses films me donne envie de faire comme lui, où lorsqu'il vole bras tendus en collants verts au milieu des nuages, moi j'atterris avec mes deux dents de devant sur le pied en bois de mon lit. En commençant à réfléchir à ce spectacle, j'ai donc eu envie de partir de ce « moi enfant » et continuer de rêver le plus possible. Et le 15 mai 2019, j'écris ce mail à Arthur Grace :
"Bonjour Arthur Grace,
Je me présente, mon nom est Valentin Clerc, j'ai vingt cinq ans et je suis un comédien français. Je suis très heureux d'avoir pu trouver un moyen de vous écrire.
Il y a deux ans, j'ai été en Californie. C'était la première fois que je sortais de France et j'étais très excité à l'idée de découvrir enfin les Etats-Unis. Là-bas, je créé une pièce avec mon école française à Los Angeles et à côté de ça, je joue un seul en scène, que j'ai d'abord créé en France, puis traduis du français vers l'anglais pour pouvoir le jouer là-bas. Et c'est dans une librairie que je suis tombé sur votre livre. Depuis ce jour, une graine s'est plantée en moi et ne cesse de grandir : créer un spectacle en s'inspirant de votre amitié, celle entre un photographe et un acteur, tout en faisant vibrer la véritable passion d'une personne pour son idole.
Je suis actuellement au tout début du travail donc avec plus de questions que de réponses mais une chose que je sais déjà, c'est que je veux créer une ambiguïté sur l'identité de l'acteur qui est sur scène en mêlant, à la fois, la vie de Robin à des évènements qui me sont vraiment arrivés : est-ce Robin sur scène ou est-ce Valentin dans sa chambre? Est-ce un comedy club de Californie ou est-ce une salle des fêtes de Bourgogne ? Quoiqu'il en soit, c'est à la vie d'un jeune homme en quête de bonheur qu'on assiste, un jeune artiste qui s'enfonce dans une profession où on peut être applaudit un soir et seul le soir d'après, où la célébrité peut être redoutable et attirante, sombre et éclatante : à la manière du film « Lenny » de Bob Fosse, ce spectacle pourrait alterner entre des moments joyeux de représentations où on voit l'acteur et le photographe travailler (stand up, scènes de tournage, shooting photo...) et des scènes d'intimités où on voit les deux amis se confier l'un à l'autre (dans un bar, dans une loge, devant un miroir). En fait, Arthur, je veux mettre en scène ce que vous nommez dans votre livre la «rollercoaster life d'un acteur », une vie faite de montagnes russes, de Robin à moi, de son Oscar à ma soif de notoriété, de haut en bas, montrée à travers le prisme d'une double relation photographe-acteur, acteur-idole.
Le « personnage du photographe » sera joué par mon meilleur ami, Antonin Charbouillot, qui a le même âge que moi et dont le métier est photographe. Il m'a déjà suivi sur plusieurs de mes projets, sur scène et en dehors. Et pour moi, il me paraît essentiel que ce soit le photographe qui soit le fil conducteur de ce portrait, un jeune photographe venant témoigner de la carrière de son jeune ami passionné de théâtre qui s'accroche à son idole pour réaliser son rêve : devenir un acteur connu. Bref, un narrateur délicat et tendre comme lorsque vous parlez de Robin, un confident qui permet d'entrer dans la tête de l'autre, qui fait soulever le masque et laisse jaillir, planer, rôder l'esprit de Robin à travers ce jeune fan qui tente de réaliser son rêve. Est-ce que ça vous parle tout ce que je vous raconte ? N'hésitez pas si jamais ce n'est pas le cas, évidemment.
Parce que forcément, au milieu de tout ça, ce spectacle est un hommage à ce grand acteur qui me manque. C'est aussi une façon de garder en vie un peu plus longtemps cet artiste populaire qui a fait rêver tant de générations d'enfants. Je veux transmettre avec sincérité ce qu'il a apporté et apporte toujours à l'acteur que je deviens.
Ce spectacle, c'est parler de la nécessité de l'autre, parler de notre propre relation à nos rêves et la puissance créatrice qui peut en surgir.
Voilà. Je ne sais pas si vous lirez mes mots, mais peu importe, au moins je vous les ai dis et j'espère que vous comprendrez où je veux en venir avec tout ça. Peut-être comptez vous venir en France dans les prochains mois et peut-être serait-il possible qu'on se rencontre en vrai pour parler plus facilement ? Paris ? Lyon ? Cannes ? Même ailleurs en Europe ?
J'espère que vous vous portez bien et vous souhaite une belle semaine.
Et merci encore pour votre livre.
Valentin Clerc, un jeune acteur français. »
Suite à ce mail, j'ai une réponse : il est intéressé par le projet et souhaite nous rencontrer. D'autres mails s'échangent et un rendez-vous est arrêté. Et nous voilà Antonin et moi, le dimanche 6 octobre 2019 à 10h du matin, après huit heures de voiture, à attendre Arthur devant une brasserie à Audierne. La casquette plaquée sur ses cheveux grisonnants, sa fameuse moustache et ses rides aux coins des yeux, Arthur Grace est en face de nous pendant près de deux heures. Je ressors de ce moment avec l'envie de pleurer, pleurer de joie. Un moment très important de ma vie vient de se produire : j'ai l'impression d'avoir approché Robin comme jamais je n'aurais pu l'imaginer.
Et sur la route du retour, aux côtés de mon meilleur ami, j'entends soudainement mon moi enfant qui me murmure : «Bon, c'est quand qu'on s'envole encore? ».
Par le(s) artiste(s)