Comment créons nous des expositions ? Comment peuvent-elles transcender le spectre du concepteur et du public et s’affranchir des espaces conventionnels ?
Super Position est un projet de création d'expositions d'art contemporain dans des écoles. Il ne se résume pas simplement à l'implantation d'œuvres dans l'espace de l'école mais bien à la co-conception de l'exposition dans sa globalité main dans la main avec les élèves et les différents acteurs de l'établissement.
Ce sont tous les choix qui permettent de créer une exposition, qui seront questionnés par les différents ateliers, du commissariat des œuvres, en lien avec la culture contemporaine des enfants, à la réflexion sur les dispositifs de monstration de celles-ci, en passant par l'identité visuelle d’un événement et l’aspect théorique avec l’écriture des cartels. Ce travail accompli avec les élèves de la classe, débouchera sur l'installation de l’exposition dans l’école visible par tous.
Ma passion pour l’art contemporain et mon expérience personnelle m’ont amené à imaginer de nouvelles manières pour faire découvrir l’art d’aujourd’hui. Ayant passé ma scolarité dans des établissements classés en zone d’éducation prioritaire, j’ai eu la chance de bénéficier de l’enthousiasme de nombreux professeurs pour nous amener à visiter des espaces culturels.
Cependant, les expositions restaient souvent classiques et m’intéressaient peu. C’est avec le temps que je me suis construit ma propre culture, en apprenant à m’approprier les œuvres, en me faisant un avis, en m’orientant vers les médiums et les contenus qui m’attiraient.
Par la suite, en poursuivant des études de design, je me suis questionné sur la facilité d’accès aux espaces culturels. J’y vois plusieurs aspects freinants, que l’on interroge rarement, comme la magnificence des lieux, qui par préjugé peut décontenancer. Par exemple le musée le plus visité au monde, Le Louvre, n’est rien de moins qu’un ancien palais royal, construit pour subjuguer, et on peut se sentir vite mal à l’aise en tant qu’enfant dans de si grands espaces. Ou bien le caractère confidentiel et privé des plus petites collections peuvent pâtir d’un manque de visibilité pour le grand public. L’art contemporain est fréquemment réduit par des personnes non averties à une collection d’œuvres abstraites, inintelligibles et donc inintéressantes.
Je m’intéresse plus précisément à la diffusion de l’art contemporain auprès des jeunes, car c’est à mon sens un terreau fertile qui permet d’élargir les spectres de la pensée et amener plus de liberté. Je souhaiterais travailler avec des classes en zone d’éducation prioritaire de banlieue, car c’est selon moi un des publics souvent les plus distants des espaces culturels classiques. Et j’aimerais que mon intervention puisse encourager par la suite les enfants à visiter les nombreux espaces à disposition à proximité.
Si aujourd’hui les espaces d’exposition peuvent être un frein à la diffusion de la création contemporaine, je pense qu’il est nécessaire d’imaginer des moyens plus souples de montrer des œuvres à un public le plus large possible. Il est incontestable que les réseaux internet ont permis de grandement élargir les spectres de diffusion et de connaissance, mais cela ne remplace pas le coté expérientiel et physique de la rencontre avec une œuvre. Un tableau ne nous procure pas les mêmes sensations lorsqu’on le voit en image sur un écran que lorsque l’on peut le regarder en réel, et cela dévalue par la suite la création contemporaine numérique, qui est pourtant si riche.
Alors si le public devient l’enjeu le plus important dans la diffusion de l’art, pourquoi ne pas lui amener directement les œuvres ? Je pense que pour briser les barrières il faut aider le spectateur à s’affranchir de ses préjugés. Si une exposition s’installe dans un environnement qui lui appartient et qui lui est familier, il sera alors plus facile pour l’enfant de se sentir concerné.
Imaginer une exposition spécialement pour son école, cela permet de valoriser autant l’établissement qui reçoit l’exposition que de conforter l’enfant à s’approprier ce qui lui est présenté.
Pour cela, j’ai souhaité en 2019, pour mon projet de diplôme de l’ENSCI- Les Ateliers, mener cette recherche à terme. J’ai donc travaillé pendant 6 mois à l’élaboration d’une exposition au sein de mon ancien lycée Julie-Victoire Daubié à Argenteuil (95). Ce fut une expérience extra-ordinaire qui a conforté mon envie de travailler au développement de projets culturels spécialisés et hors-les-murs. Pour cette première édition de Super Position, j’ai sélectionné un ensemble d’œuvres contemporaine d’une vingtaine de pièces, qui avait un point d’accès abordable pour le lycéen. J’ai discuté avec les équipes du lycée pour convenir des solutions d’accrochage à imaginer pour exposer les œuvres pendant une période de deux semaines en octobre 2019. Puis j’ai collaboré avec les élèves de la classe Arts Plastiques sous la forme d’ateliers, pour rédiger l’ensemble des cartels de l’exposition. Je me suis rapproché de la classe « éloquence » pour former des élèves comme médiateurs de l’exposition, auprès de leurs camarades, mais également auprès du public extérieur.
J’ai souhaité lors de ce précédent projet, focaliser mon travail avec les lycéens sur la légitimation de la parole et du point de vue. Il était important pour moi de sortir des carcans des ateliers mis en place dans les musées, qui se cantonnent souvent à des activités manuelles, mais au contraire de travailler sur le contenu sémantique de l’exposition, en utilisant des méthodologies ludiques.
Pendant la période d’exposition, les œuvres étaient visibles par tous, au détour des couloirs, du réfectoire, ou bien encore de la salle de permanence. J’ai également profité des temps de vie scolaire, pour organiser des visites guidées, cela permettait de questionner les œuvres qui intriguaient les lycéens, mais aussi de recueillir leurs points de vue. Lors du vernissage, c’est un nouveau moment de vie qui s’est créé, le lycée a ouvert ses portes jusqu’à 21h00 pour accueillir les familles et amis des élèves à visiter l’exposition.
Aujourd’hui, j’aimerais grâce à Création en cours pouvoir développer un nouvel opus de ce projet en l’orientant pour des élèves plus jeunes. J’aimerais cette fois-ci collaborer dans la globalité du projet avec les élèves, qu’ils soient les co-créateurs de cette nouvelle exposition. Travailler avec des enfants nous permet de sortir des territoires normés qui se développent lors de l’adolescence.
Cela est un réel enjeu pour moi, car il va me permettre de concevoir un dispositif de création encore plus transversal entre l’exposition et son public.
Je souhaite leur faire prendre part à la création de celle-ci, en les initiant aux différentes étapes d’une exposition. Nous aborderons des notions de sélections d’œuvres, en appréhendant la diversité des supports et des sujets, mais également des notions de design graphique, en travaillant sur les affiches de l’exposition. Nous imaginerons des scénographies possibles en créant des espaces de déambulation et je souhaite également poursuivre ma recherche sur les façons et les moyens de raconter des œuvres à des enfants. C’est cette réflexion en jachère sur les méthodologies de co-création qui sera mon axe principal de recherche lors de cette résidence.
J’imagine Super Position comme un projet en perpétuel évolution, qui amène des œuvres dans des établissements publics et requestionne notre façon d’habiter les espaces. C’est un projet de conception en communauté, qui pourrait par la suite prendre place dans d’autres typologies de lieux. Le centre de ce projet est le Public et comment le designer peut l’aider à s’approprier de nouveaux horizons. Au fil des années, Super Position pourrait prendre place dans des maisons de retraites, des centres commerciaux, des prisons, ou bien être imaginé comme une itinérance dans une ville.