Tras kréyol 2.0 à La Réunion

Du fait de son histoire coloniale et de ses différents mouvements diasporiques, la France est aujourd’hui porteuse d’un plurilinguisme concret sur son territoire. Or, là où les territoires post-coloniaux pourraient devenir le laboratoire d’une multitude de créations graphiques créolisées, une emprise politique persiste. A fortiori de l’omniprésence des systèmes d’écriture occidentaux, on constate la disparition des graphies multilingues dans l'espace publique et le monde du design. De plus l’idéologie de l’assimilation contribue à la non-transmission de ces patrimoines linguistiques et à l’absence totale des systèmes d’écriture plurielles dans ce qui devrait être un espace du commun en France.
Face à cela, certain·es designer·euses prennent de nouveaux rôles et créent de nouvelles méthodes en vue d’impliquer leurs héritages linguistiques et sensibles dans leur travail. On constate alors l’émergence d’initiatives créatives où les langages graphiques déployés renvoient à une vision relationnelle du monde. À l’instar des idées de Glissant, ces initiatives s’inscrivent dans un mouvement de recherche où l’expérimentation est au coeur de la pratique, à la fois fragile et menacée, mais aussi précieuse et féconde.
Le projet Tras kréyol 2.0 à la Réunion s'inscrit dans la continuité du travail de Charlotte Attal déjà réalisé à la Martinique à l'occasion de la résidence Création en Cours. Le nouveau volet de ce projet se construit en partenariat avec l'association "Lofis la lang kréol" qui vise à la conservation et à la valorisation des langues créoles sur l'île de La Réunion. Ensemble ils décident de travailler sur les "sirandanes", devinettes en créole, qui constitue un patrimoine immatériel et traditionnel de l'île. Charlotte Attal produit alors une série d'affiches qui donnent à voir plusieurs de ces devinettes créoles, à la fois lisibles en français et en créole réunionnais. La production de ces affiches est réalisée à l'Atelier Sérigraphie de la galerie Constellation basée à Saint-Denis. C'est avec cette même structure que l'artiste réalise son second partenariat pour inscrire son travail dans une démarche pédagogique. À l'occasion des "vacances constellées", programme de centre aéré porté par la galerie, Charlotte Attal intervient une semaine au mois de juillet pour produire des ateliers participatifs autour de son projet. Les enfants sont invités à produire eux aussi des affiches de "sirandanes" avec les différents outils du graphisme. Leurs dessins viennent illustrer les affiches de l'artiste à l'occasion d'un atelier sérigraphie en plein air dans le centre. L'enjeu de cette démarche pédagogique vise à impliquer des enfants du territoire dans un projet qui invoque leur héritage linguistique vers la production de nouveaux visuels graphiques.