L’isolement des territoires insulaires a toujours fasciné l’homme en véhiculant une image d’antimonde, d’ailleurs exotique et permissif. Cependant, ce même isolement peut plonger ces îles dans des crises sociales, provoquées, surtout, par une dépendance face aux politiques d’import-export, haussant considérablement le niveau de vie. Face à ce constat, le design veut être un moyen d’interroger une situation géographique et économique, de l’observer pour trouver des réponses orientant un territoire vers une économie plus circulaire, écologique et créative. Le design sera abordé sous l’angle de la revalorisation des matériaux (de l’upcycling plus que du recyclage) comme une méthode d’analyse et d’expérimentation.
« Si on ne peut pas résoudre un problème, ce n’en est pas un. Si on peut le résoudre, ce n’en est pas un non plus. » Bruno Munari, De choses et d’autres J’ai à cœur d’insérer la démarche et le travail du designer au service d’un contexte économique et social réel. Ici, c’est la situation insulaire et plus particulièrement celle des territoires d’Outre-Mer qu’une telle démarche tenterait d’améliorer. Les problématiques spécifiques communes de ces régions ultramarines sont : - Une économie principalement tournée vers l’importation et l’exportation qui entraine : . une inflation des prix, donc la hausse du coût de la vie (à cause, entre autre, d’une utilisation abusive de l’octroi de mer, taxe sur les produits importés) . une hausse des inégalités, le fossé se creuse entre riche et pauvre (sur-rémunération contre très bas salaire) - le sous-développement d’infrastructure permettant l’indépendance alimentaire - Ce niveau de vie élevé couplé aux inégalités devient un terreau fertile pour les tensions sociales et l’insécurité - L’économie n’est pas assez tournée sur le tourisme Pourtant la situation insulaire des DROM est souvent le fruit de plusieurs atouts : - Une faune et une flore à la biodiversité exceptionnellement riche - Le mythe d’un paradis tropical dans l’imaginaire commun - Une population avec une grande diversité culturelle - Un secteur artisanal singulier Des activités qui y sont souvent développées sont la pêche, la culture de la canne à sucre, de la banane, de la noix de coco (de manière générale et récurrente. Ces affirmations ne sont pas pour un territoire ultramarin particulier). C’est à partir de ces constats que se construit le projet Up ! Up ! Up ! afin d’explorer les possibilités du design en tentant de trouver des solutions, à notre échelle, pour réduire la dépendance des terres ultramarines à l’importation, ou facilité l’accès à certains besoins pour les revenus plus pauvres. Pour mon projet personnel, et pour faire découvrir cette discipline aux élèves, j’ai choisi de travailler autour de l’upcycling, c’est-à-dire, en revalorisant des matériaux considérés comme des déchets. L’upcycling est un moyen de porter un nouveau regard sur des matériaux, et de se questionner à propos de la matière, les dimensions, les savoir-faire, l’usage, la couleur, … « Il faut considérer les choses non seulement pour ce qu’elles sont, mais aussi pour ce qu’elles auraient pu être. En règle générale, une même chose peut être étudiée sous de nombreux angles, et les points de vue les moins évidents se révèlent parfois les plus utiles. Une fois que l’on a compris une chose pour ce qu’elle est, il est toujours utile d’aller plus loin pour voir ce qu’elle pourrait être d’autre. » (Edward de Bono, psychologue, en 1968 dans Apprendre à penser en 15 jours) Souvent synonyme de havre de paix, les îles composant les départements et territoires d’Outre-Mer, sont souvent le théâtre de tensions sociales provoquées par une certaine dépendance des activités d’import-export, qui, en engendrant un coût de la vie élevée, exacerbe les inégalités sociales. Dans toutes ces piles les taux de chômage sont très hauts, surtout chez les jeunes. En tant que designer et au moyen d’une démarche d’upcycling, j’aimerai aborder avec les élèves, de manière simple et créative, ces thèmes citoyens que sont l’écologie et l’économie circulaire, comme une solution aux difficultés induites par le contexte insulaire. Cette période de résidence serait aussi un temps de sensibilisation où des thèmes civiques seraient évoqués, et où nous tenterions de proposer des solutions, à notre échelle. Mon travail de création personnel serait également en accord avec ces thèmes civiques. J’aimerai à partir de matériaux considérés comme des déchets et collectés sur place, les ré-insérer dans un circuit d’usage, et répondre à ces problématiques liées au contexte insulaire, explicitées plus haut. Revaloriser un déchet peut devenir générateur d’emploi, actualiser des savoir-faire, favoriser l’autosuffisance c’est-à-dire dynamiser une économie, en la rendant plus circulaire. Au moyen d’une étude de terrain, l’enjeu serait de détecter et de sélectionner des matériaux considérés comme des rebuts. En les analysant, j’étudierai comment, pourquoi et en quoi les revaloriser pourrait être cohérent. Les idées validées devront mettre en œuvre des processus simples pour faire évoluer le matériau déchet en un nouvel objet recyclé, en cohérence avec son environnement (par exemple : des chutes de tissus récupérées peuvent être découpées, collées, cousues, tissées, pliées, durcies, décomposées, déchirées etc). Plus que la bonne idée, c’est l’analyse et le geste mis en place pour effectuer cet acte de revalorisation, qui seront l’objet d’une réflexion. La revalorisation prend en compte la mise en place d’un protocole afin que les créations puissent être reproductibles et partagées. La pêche, les bananeraies, cocoteraies, canneraies (notamment) d’Outre-Mer sont des activités d’exploitation génératrices d’un grand nombre de déchets. Ces derniers peuvent être naturel, provenir du végétal, ou bien issus de l’outillage consommable nécessaire à l’exploitation. Considérés comme des ordures, ils peuvent même créer de véritables problèmes sanitaires quand ils sont abandonnés sauvagement. La revalorisation doit passer aussi par l’étude des circuits de production, d’exploitation et de transformation que ce soit de la pêche ou des fruits, présents sur le territoire insulaire. À ce jour, je pense notamment au savoir-faire de la vannerie, présent sur plusieurs DROM, comme base de processus d’upcycling. Ce projet pourrait être le lieu de rencontre et de collaboration avec un/des artisan(s), afin de trouver de nouvelles façons de revaloriser ces chutes industrielles abandonnées. « En respectant ainsi les caractéristiques formelles, mais aussi matérielles, chromatiques, tactiles et autres de chaque objet, on peut avoir l’idée de le transformer. On peut aussi le faire pour apprendre aux enfants à être créatifs et à voir les choses… » Bruno Munari, designer, dans les années 80 dans De choses et d’autres À travers le prisme de l’upcycling, c’est aussi l’éloge de la débrouillardise, l’inventivité. Up ! Up ! Up ! veut donner l’envie de créer, mettre en valeur l’héritage artisanal ultramarin pour contribuer à l’amélioration d’un cadre de vie, initialement idyllique, et qui doit le rester.
Mayotte
Par le(s) artiste(s)