Si mes pages se tournent à votre contact, et que vous sentez la fibre de mon papier sous la pulpe de vos doigts, c’est que vous m’avez entre les mains et qu’il est temps que je prenne la parole. Ouvrez attentivement les oreilles et tendez les yeux ; ces autres objets que moi, eux qui n’ont pas d’étendues de papier où s’exprimer, m’ont fait confiance pour devenir leur voix.
Je suis né à la fin du mois de mai de l’année deux-mille vingt-deux, contre les tambours d’un duplicopieur de risographie à Nevers, et c’est non loin de là que les histoires que j’ai à vous confier ont été entendues pour la première fois. Il y a à Prémery un plan d’eau, un château, la Nièvre qui s’écoule et un étrange bâtiment où enfants et adultes se réunissent plusieurs heures par jour presque tout au long de l’année. C’est là et au cours de l’hiver de l’année deux-mille vingt-deux que tout commence lorsque des petites mains ont glissé les objets dans des cartables. Puis ces mains (ainsi que d’autres un peu plus grandes) se sont mises à les soulever ; les objets ont été retournés, soupesés, soigneusement inspectés.
Il faut dès à présent que je vous avertisse : avant d’être bavards, les objets sont timides. C’est à force d’être regardés qu’ils ont su qu’il était temps pour eux de quitter leur mutisme. C’est aussi pour cela qu’ils ne s’adresseront jamais directement à vous. Il a, par exemple, fallu attendre le mois de mars pour simplement connaître leur nom.
Les objets ont du mal à parler alors trouver des interprètes est devenu indispensable. Les enfants, ceux qui étaient au bout de ces mains, ont retroussé leurs manches pour jouer ce rôle et je les en remercie ; aucune page de ce livre n’existerait sans leur patience à noter et dessiner ce qu’ils ont vu et entendu.
Une journée dans une école est un monde en soi traversé par ses propres révolutions, ses tristesses et déceptions, aussi ses grandes trouvailles, ses solidarités et ses inaltérables promesses. Vous qui me tenez entre vos mains, sachez que je suis né dans une de ces journées, simplement une de ces journées où l’on a choisi de prêter attention à ce qui ne parle pas. Alors tournez mes pages doucement, mes histoires sont nées de la rencontre d’une grande concentration et de traits appliqués au bord de règles émoussées.
Le livre.