Note #3

Note #3

Publié par Rémi Brachet

Journal du projet
Arts de rue Arts plastiques Pyrotechnie (qualification C4T1)

Pourquoi j'ai choisi Ivrea ? Pour son carnaval très politique et son histoire industrielle, paradigme de l'évolution récente de l'économie libérale.

Carnaval d'Ivrea

Le carnaval est là-bas immédiatement symbolique, politique : des gens à pied, sans protection, affrontent des équipages casqués, anonymes, protégés par leurs plastrons, tractés par des chevaux magnifiques. Une joute, mais entre la foule et quelques privilégiés. Le combat est âpre et joyeux. Il y a quelque chose de l'essence du carnaval qui se joue là-bas. Le droit à la bagarre, ritualisée, costumée, mais la bagarre quand même. Avec la sueur, les coquards, les chants de combat, et ceux de la fête qui suivent la bataille ou acclament la Mugnaia. Le bûcher qui signe la fin du carnaval, et le pastiche de parade funèbre, très sérieusement respecté. Il y a des aranceri de tous âges, de tous les horizons. Il y a des amitiés de carnaval qui durent depuis des années. Et des amours qui se nouent dans l'interstice d'une orange explosée et d'une lèvre éclatée.

Olivetti

Derrière le carnaval, derrière le vernis de la fête, il y a à Ivrea une parenté avec le passé industriel de la Lorraine : Ivrea, capitale du Canavese, est la ville d'Olivetti. Olivetti, usine de machines à écrire au début du siècle, devenue grande entreprise de fabrication et matrice du design à l'italienne dans les 50's (sous la houlette d'Ettore Sottsass). Olivetti, c'est un certain idéal social porté par ses deux premiers patrons, Camillo et Adriano, qui a crispé assez vite le régime fasciste. Un laboratoire d'un certain capitalisme social. Et puis Olivetti a connu les difficultés de l'industrie dans les années 80 et 90. Alors on a "restructuré" pour sauver la marque - le refrain est connu : licenciements massifs, financiarisation et tertiarisation. Olivetti c'est un visage de l'évolution économique récente. [Je reviens toujours à La Grande Transformation de Karl Polanyi, dont l'analyse du désencastrement de la finance de l'économie réelle est toujours d'actualité.]  

(c) Gaël Eléon, sur le tournage de juin 2017
(c) Gaël Eléon, sur le tournage de juin 2017

Carnaval + Olivetti = Gianni & Adriano

En associant ces deux grands éléments de contexte, ces de creusets dramatiques, je commence à imaginer deux personnages :

Gianni et Adriano, deux amis de carnaval. Deux enfants "Olivetti" - nés dans des familles travaillant à Olivetti depuis trois générations.

Et dont les destins ont divergé : l'un s'est financiarisé avec la marque, et l'autre non.

Je vais raconter la fin d'une amitié, où plutôt la prise de conscience que cette amitié, déjà effilochée, bute maintenant sur une distance sociale que ni Gianni, ni Adriano, ne peut plus enjamber.