Peut-on imaginer des fournitures scolaires radicalement différentes, mieux adaptées à chaque élève et fabriquées par lui ? Des outils pour apprendre qui feraient du bien aux élèves et à l'environnement, au lieu de stylos qui font mal aux mains, des colles toxiques et des cartables trop lourds ? Des fournitures à construire ensemble, en classe et qui valoriseraient le patrimoine et les savoirs-faire locaux. Des fournitures qui construiraient le monde de demain d'enfants qui seront bientôt grands.
L'objectif de cette résidence, ancrée dans une recherche sur les outils des écoliers au travers des siècles et des continents, sera d'imaginer une nouvelle manière de voir le monde, par le prisme des objets créés par des écoliers.
Une enquête de terrain et un travail d'atelier avec les élèves, nourrie de dialogues avec les artisans locaux, permettra d'imaginer une boîte à outils scolaire respectueuse et valorisante pour tous•tes, dès aujourd'hui et pour demain.
Souvenez-vous, à chaque rentrée des classes, de l’excitation qui nous assaillait toutes et tous. De nouveaux crayons, une trousse, un compas ... Au supermarché, entourés de piles de copies doubles et de « packs écos » de stylos Bic, à rechercher les cahiers aux bons formats, les gommes, les crayons... Quelles couleurs choisir ? Pourtant, très vite, les mêmes cahiers que l’on avait été si heureux de choisir pesaient tel un supplice d'écolier dans nos cartables et nos mains souffraient à force d’écrire toujours plus, et toujours plus vite, avec ces stylos mal dessinés. Et puis, souvenons nous de ces leçons, illisibles, recopiées sur des feuilles aux lignes bleues et violettes, couvertes de notes au stylo noir, soulignées en rouge, corrigées en vert !
Nos outils d’écoliers sont nos premiers outils de travail. Ils sont une passerelle entre deux époques et deux mondes. Ils façonnent un premier rapport au graphisme et au design. C'est par eux que l’on apprend à lire, à écrire, à compter, à hiérarchiser les information au sein d’une page. Et à grandir, aussi.
Il fut un temps où maîtresses et maîtres d’école fabriquaient, chaque semaine, l’encre de leurs élèves. Des siècles plus tôt, les écoliers gravaient leurs exercices dans la cire de tablettes de bois, évidées et reliées. Ces premiers cahiers étaient robustes, réutilisables et fabriqués à partir de matériaux renouvelables, recyclables, compostables. Et tout cela était normal.
Aujourd’hui, les fournitures scolaires sont les mêmes partout et pour tous•tes. Elles sont produites en quantitées astronomiques, à l'identique, dans le monde entier, par des industriels peu sensibles aux questions d'éthique ou d'ergonomie. On pourrait dire que cela leur permet de maintenir des coûts raisonnables, et de respecter les budgets des familles. Mais cela donne aussi lieu à l'apparition d'outils de moindre qualité dont la composition demeure trop souvent opaque. Quels plastiques ? Quels additifs ? Quelles encres ? Quels papiers ? Quels pigments ? Sont-ils bénéfiques, neutres ou dangereux pour notre santé et celle de l'environnement ?
En ce temps de conscience retrouvée, de réinvention d'un monde plus juste, éthique, doté d'un futur et d'une vision pour les générations à venir, la question de la respectabilité se pose également là. Peut-on imaginer que les élèves façonnent, réinventent, imaginent leurs propres outils, à l'école ? Que nous, leurs ainé·e·s, leur montrions une voie sage, qui préserverait leur futur et celui de leurs enfants ? Là se trouve aujourd'hui le sens de l'histoire à écrire ensemble, avec ambition et raison.
Le projet que je souhaite développer est un projet de recherche en design, englobant ces questions et tendant à leur trouver des réponses concrètes. Après m’être intéressée globalement aux outils graphiques dans mon mémoire de master, puis au papier dans mon projet de diplôme, je souhaite questionner les outils des écoliers. Explorer les pistes menant à plus d'humanité, d'ergonomie, d'apprentissage et de création pour un monde meilleur. Sur le socle d'une étude historique, il s’agira d’imaginer, avec les élèves et le personnel enseignant, à quoi pourraient ressembler les outils des écoliers des mondes d'aujourd'hui et de demain.
Est-ce qu'un stylo doit avoir la forme d'un stylo ? Être en plastique, en métal, en bois ou dans un matériau innovant à affecter à cette fonction ? Peut-être que le meilleur stylographe, celui qui permet d'écrire le plus confortablement, n'a pas du tout la forme d'un stylo d'aujourd'hui. Et peut-être que, demain, sa forme dépendra de celle de la main, droite ou gauche, de chacun·e. Alors, peut-être que chaque élève pourrait modeler son outil en fonction de ses mains ? Quelle serait alors la diversité des formes de stylo possibles ?
De la même manière, peut-être que chaque élève, en fonction de son écriture, de ses envies et besoins, de ses ambitions et de ses élans, de ses outils d'écriture préférés, aura besoin de feuilles lignées différemment, selon qu'il·elle choisira le langage de la musique, celui des lettres ou celui des formes. Que ce soit des carreaux, des lignes, des points, qu'ils soient bleus, violets, verts, jaune, rouge ou gris, espacés de cinq millimètres ou d'un centimètre, il existera sans doute autant de quadrillages possibles que d'élèves et de langages.
Ce raisonnement peut être décliné avec chaque objet présent dans une salle de classe, de la gomme aux pupitres, et à chaque discipline enseignée à l'école, en fonction de la personnalité, des qualités et des attentes de chaque élève. Il s'agit pour nous d'ouvrir des imaginaires, pour certains utopistes, drôles ou réalistes. Et dans tous les cas, de nous mettre à réfléchir, écouter, proposer, développer des idées et des formes pour demain.
C'est en tentant d'améliorer les objets qui nous accompagnent au quotidien que l'on comprend le pouvoir qu'ils exercent sur notre environnement. Les remettre en question, c'est aussi se donner une chance de réinventer notre monde. De le changer, même.
Par le(s) artiste(s)