Habiter/être habité.e
Sonate pour ciseaux et papier calque.
Le projet habiter/être habité.e est un projet en cours développé depuis un an. Il s’agit d’un livre de poésie graphique aux techniques d’illustrations mixtes (essentiellement gravure et collage). Il interroge le foyer inappropriable qu’est le territoire où l’on est n’importe où chez soi et toujours chez tant d’autres. Il s’agit de questionner les entrelacs entre notre environnement et nos contrées intérieures pour en faire un carnet de voyage combinatoire et singulier.
Ce projet est à la croisée des chemins.
Il doit aux herbiers, leur vulnérabilité;
aux journaux intimes, leur polyphonie;
à la cartographie, sa capacité à inventer des devenirs.
« Un lieu nous affecte par sa faille intrinsèque, par le flottement de sens qu’il engendre, par l’énigme qui l’habite. »
Alain Mons
UN LIVRE GRAPHIQUE COMBINATOIRE
Dans un livre combinatoire il s’agit de naviguer entre les plis, assembler les pages et se faire son propre récit. Les mots et les images se frôlent, au hasard parfois, pour résonner plus loin.
Ce que j’appelle un livre combinatoire est un livre dont chaque page est découpée en 3 dans le sens de la longueur. (cf esquisse en pièce jointe) On peut donc tourner le haut de la première page mais pas le milieu ni le bas. Ce qui donne une nouvelle image. Une infinité de combinaison est ainsi possible.
TOUT EST PLEIN OU LA DIAGONALE DU VIDE
La naissance du projet
Il fût un temps, pas si lointain, où des espaces vierges cernaient et pénétraient les représentations de l'écoumène. Le monde était alors encore gorgé de contrées inexplorées, évoquées sur les cartes par des zones laissées blanches çà et là. Et au cœur des ténèbres de ces espaces blancs l’on pouvait lire terrae incognitae ou encore hic sunt leones, comme un appel à imaginer, à inventer des mondes, infiniment. Par ces zones blanches, c’était l’incertitude et le flottement qui se répandaient au cœur même de la quête de connaissance et de maîtrise de l’espace.
Mais les terrae incognitae ont progressivement perdu du terrain. Les zones incertaines ont aujourd’hui tout à fait disparu de nos représentations cartographiques ; depuis quelque temps, toute contrée inexplorée a été dévoilée par l’œil panoptique des satellites. Or, sans doute, ces espaces vierges de tout savoir invitaient infiniment plus à rêver que les espaces dûment nommés et mesurés. Il en va de même des Finis Terrae des cartes de l’Antiquité qui laissaient libre cours à toutes les extrapolations sur ce qui se trouvait au-delà. Nous évoluons aujourd’hui dans un monde limité, borné et exploré de fond en comble. Il n’est plus une parcelle qui ait échappée aux arpenteurs. Le monde connu s’étend partout, comme déshabillé de tout mystère. Il est saturé : tout est plein, semblent dire les cartes, comme si le monde entier était un lieu commun.
Or, en arrivant sur le plateau de Millevaches quelqu’un dont j’ai oublié le visage m’a dit : « Vous avez choisi d’aller vivre dans la diagonale du vide. Courage. »
Cette phrase étrange fut un catalyseur. Le projet habiter/être habité.e prit sans doute racine à cet instant précis.
S’il y a du vide c’est qu’il y a de la place pour rêver et imaginer.
Un territoire n’est dépeuplé que pour un regard comptable.
Nous sommes peuplés.
Cartographie intime, l’hypothèse du chatoiement
C’est sans doute la distance qui sépare l’expérience de sa cartographie qui m’interpelle car ici, comme ailleurs, l’écart est signifiant. Comme un hommage à l’indicible, les cartes valent plutôt par ce qu’elles omettent que par ce qu’elles montrent.
Nous avons bruissant en nous mille histoires et chemins. Tout rapport au monde est par essence polyphonique. En résulte qu’on ne peut pas dresser la carte d’un territoire, d’un chez-soi ou d’un lieu de manière directe et univoque. Il nous faut mettre en rapport des éléments divers, un pêle-mêle de détails ordinaires. C’est dans dans leur frottement que surgit la carte.
Le territoire, le chez-soi ou le lieu apparaît alors en creux, dans les sillons, dans les échos imprévus.
Dans la réserve, au sens graphique du terme.
En ce sens, la carte n’est pas seulement carte pour un possible mouvement dans le monde, mais carte d’un possible devenir du monde.
TECTONIQUE DES IMAGES
Deux piliers graphiques : gravure et collage
Gravure (lithographie)
Il y a un an, le projet habiter/être habité.e a connu ses premières avancées concrètes. La gravure et le lithographie se sont imposées comme medium. En effet, l’homonymie entre impression, au sens graphique, et impression, au sens de perception, me semblait offrir la possibilité d’une mise en abîme des questions qui m’habitaient jusque là.
Tracer avec les mains ce que d’habitudes les pieds dessinent. Faire des sillons. Encrer. Imprimer. Creuser encore.
Il en résulte une première étape de travail : une série de gravure et lithographies inspirées du territoire. (cf. pièces jointes) Elles miment des cartes géographiques ou photographies aériennes mais n’en sont pas. Questionnant ainsi la place de l’imaginaire dans le récit de notre territoire et de nos contrées intérieures.
Collage
J’ai pour ambition de continuer ce projet en me focalisant sur la technique du collage. J’aimerais faire entrer en résonance cette technique avec celle de la gravure. Il me semble qu’elles sont en quelques sortes l’envers l’une de l’autre. Le collage est pour moi une sorte d’errance de la pensée, une ode au hasard, un hommage aux surréalistes et aux détails ordinaires. C’est pourquoi il me semble tout à fait intéressant d’utiliser cette technique au sein du projet Habiter/être habité.e.
DES MOTS
Écrire n’a rien à voir avec signifier, mais avec arpenter, cartographier, même des contrées à venir.
Gilles Deleuze et Félix Guattari
Les mots pensent et rêvent. Les mots font exister les choses. Prudence dès lors, il s’agit de bien les choisir faute de quoi ils sont comme des enclumes posées sur des violettes.
La partie littéraire de ce travail n’est qu’à son prélude. J’ai commencé à jeter quelques mots dans mes carnets, Des mots que j’attrape au vol, les nuits où je ne sais plus comment se conjugue « habiter ».
QUELQUE PART, L’INFINIMENT GRAND REJOINT L’INFINIMENT PETIT
Cette création en cours vise à travailler le territoire de manière intime. L’intime étant à mon sens l’infini qui se confond avec l’infime. Le monde entier contenu dans un détail. Cela ne signifie pas que l’on peut tout saisir d’un seul regard. On ne peut pas tout déplier mais on peut déplier à l’infini.
Il s’agit, en somme, de faire droit à la multiplicité des versions, de faire place au chatoiement du monde.
Par le(s) artiste(s)