L’Épouse/La Ménagère est un projet de diptyque, soit deux tableaux vivants, deux solos de danse qui explorent les gestes mécaniques et marionettiques. Le projet se saisit d’archétypes visuels féminins pour les tourner en dérision et les faire exister à travers un univers absurde. Au-delà de la recherche physique, l’axe principal du travail s’organise autour de l’acte de se représenter afin de créer un décalage entre ce qui est montré et ce qui est vécu. Inspiré des noces funèbres de Tim Burton pour L'Épouse ou encore des publicités pour électroménagers des années 50/60 pour La Ménagère, le personnage mis en scène est tout aussi reconnaissable qu’il est pourtant construit d’entités complexes et paradoxales. Le lien intergénérationnel motive aussi le projet qui s'inspire et fantasme sur une réalité passée, non vécue, de vie d'épouse et de ménagère. Qu'en est-il de ces représentations-là de la femme ? Quel décalage entre le passé et le présent ? Avec l’école, l’objectif sera de partir de l’imaginaire débordant des enfants pour aller vers le mouvement et la création. Il s’agirait donc d’aborder le même processus créatif que j’explore dans le projet du diptyque. Comment partir d’une image, qu’elle soit picturale ou mentale, pour aller vers le mouvement, et donc mettre en corps cette image ?
Note d'intention:
L’Epouse est le premier volet de ce diptyque amorcé en 2017 suite à une immersion dans l’univers des marionnettes. S’en est suivi la création d’un personnage inspiré du Mélancholia de Lars Von Trier ou encore des Noces Funèbres de Tim Burton: une mariée déchue au language physique mécanique, aliénée dans la représentation d’elle même. Déjà recherchée, ce solo m’a alors inspiré le second volet La Ménagère qui s’inscrit dans la même démarche chorégraphique. L’écart intergénérationnel motive aussi ce second volet qui souhaite s’inspirer d’une certaine réalité passée. En lien avec la vie de mes grands-mères, je fantasme et me questionne sur cette vie d’épouse et de ménagère, réalisant que ces représentations là de la femme font encore totalement parti de notre inconscient collectif. Dans cette recherche, je me saisie donc d’archétype visuels féminins (la mariée en robe blanche, la ménagère telle qu’on la représente dans les publicités des années 50/60) pour les faire exister à l’intérieur d’une atmosphère cauchemardesque. Ce diptyque explore l’acte de se représenter, l’acte d’être bloquée, l’acte d’être vue/ d’exister à travers le regard de l’autre; comment ne devenir qu’une succession d’images figées. Je me demande comment établir un comportement, un état de corps et comment celui-ci affecte et transforme? Dans ces deux solos, le langage du corps construit l’identité des personnages représentés. A la limite du spectacle et de la performance, L’Epouse se représente en immersion dans le public. L’axe majeur pour ce solo se situe dans le dialogue entre les entités absentes, matérialisées par le corps et la réalité du public qui est regardé dans les yeux, qui est l’interlocuteur direct. Dans La Ménagère, je souhaite revenir au geste mécanique, point de départ de toute cette recherche, notamment aux gestes liés à la tâche ménagère et à l’utilisation d’appareils électroménagers. Les conceptions sonores et visuelles seront également des points d'appui forts dans la mise en scène du projet. Ce projet de diptyque se concentre sur la création d’images et d’atmosphères palpables. Je souhaite instaurer un climat, et je cherche par le corps et par le son à altérer l’humeur, à toucher l’autre.
Démarche chorégraphique
L’Epouse/La ménagère est un travail qui explore le geste mécanique et marionnettique. La deconstruction et l’isolation du mouvement constituent la base de cette recherche qui exige l’attention sur chaque micro mouvement, notamment les mouvements expressifs du visage. Comment déshumanisé un mouvement fonctionnel? Comment construire une nouvelle manière d'être par le mouvement? Cet état recherché implique le dévouement à l’instant présent, la capacité à faire exister le détail et à rendre visible l'invisible.
L’Epouse fait le choix de ne pas s’écrire de manière figée car il est absolument nécessaire de toujours remettre en jeu cette corporalité, de l’aborder de manière honnête et paradoxalement non de manière mécanique et répétitive. La recherche est avant tout nourrie par l’imaginaire. Le corps matérialise l’espace qui l’entoure, des espaces qui l’attirent ou qui le rejettent. Le travail tente d’établir un dialogue entre ce qui est imaginé, absent et la réalité du corps et du public. La structure est là: une marche nuptiale où le corps se désintègre à mesure qu’il se rapproche du public. Il perce même finalement cet espace, l’occupe, mais continue d’avancer jusqu’à la fin. Le solo est un développement progressif de cet état physique et émotionnel. Portée par le son, la montée s’exprime d’abord dans la respiration, dans l’augmentation du dysfonctionnement et dans la saturation du geste.
La ménagère s’inspira autant de la représentation, du sourire forcé tel qu’on peut le percevoir dans les images publicitaires mentionnées que d’une sélection de gestes effectués lors de tâches ménagères. La recherche s’établira donc dans l’expérience de ces gestes, afin de les décortiquer et d’en extraire un nouveau language. La dimension sonore sera au coeur de cette recherche. En miroir du corps, le son se construira à partir des actions physiques effectuées, notamment à partir de l’utilisation d’appareils électroménagers. Ces sonorités mécaniques, répétitives et aliénantes permettront la création d’une atmosphère immersive, qui se voudra envoutante et hypnotique. Il s'agira également de rechercher comment l'objet, en l'occurence les appareils életroménagers sélectionnés (batteur électrique, aspirateur, éponge), induit une certaine physicalité, comment la matérialité de l'objet affecte et transforme le corps. Comment traduire la mécanique de l'objet par le corps? comment incarner l'objet? comment se laisser altéré par l'objet?
Dramaturgie:
L’Epouse
Ce solo questionne l’image de la mariée manipulée. Délibérément caricaturale, presque burlesque, cette figure, en soi, raconte une histoire. Le solo se joue de l’idée du mariage, non comme apogée mais plutôt comme contexte propice à la déception, voir même à l’épouvante. A l’instar du Melancholia de Lars Von Trier, L’Epouse se saisit d’un instant presqu’obligatoirement associé au bonheur et à l’épanouissement pour le renverser, et l’amener vers un climat cauchemardesque. A travers cette idée de «l’anticlimax», le personnage incarne la résignation et se révèle aussi puissant qu’extrêmement vulnérable. La mariée, l’acte de la marche nuptiale sont autant d’éléments qui rappellent le spectacle et la mise en scène. C’est là l’axe majeure de ce travail qui met en avant l’aliénation provoquée par l’acte de se représenter. Dans un contexte où tout est regardé, pris en photo, il semble intéressant de remettre en jeu la représentation de soi à l’intérieur même d’une performance. Enfin, ce travail porte l’envie de toucher le spectateur, de lui faire ressentir l’effort et l’intensité qu’exige cet état de corps. Par ailleurs, la narrative sous-jacente de L’Epouse ouvre le spectateur sur son propre imaginaire, le langage du corps, n’offrant pas toutes les réponses, lui permet de questionner et d’interpréter ce qu’il est en train de voir.
La Ménagère
Ce second solo fera exister un personnage enfermé dans ses propres actions. Le travail s’inspire des mots de Sheila Rowbotham dans Conscience des femmes, monde de l’homme (1973). L’auteur, quant au travail ménager parle de « névrose du néant ». « Le travail ménager absorbe la femme totalement, c’est un cycle rythmique de tentative et d’échecs, jusqu’à l’épuisement total. […] la violence qu’elle a absorbé la ravage. Elle finit par se sentir absolument vide ». Ces propos accompagneront l’exploration physique qui cherchera à trouver cet état de vide par la répétition du geste. La ménagère cherche aussi la catharsis de ces représentations féminines, la libération de ces figures figées aux sourires forcés. Le solo traitera de cette pression de plaire et de faire bien. Plus personnellement, le solo naît aussi du besoin de mesurer un certain écart entres des vies passées et présentes. Le travail s’autorise à fantasmer sur une réalité inconnue que les générations antérieures ont bel et bien vécu. En ce sens, il s’agit d’établir un lien avec cette perception du passé, tout en regardant le présent. Qu’en est-il de ces représentations là de la femmes? Ont-elle disparu? Le travail ne porte pas la volonté de juger, ou de définir des notions de bien ou de mal. La recherche physique et l’intérêt pour l’acte de se représenter sont à l’origine de cette démarche. Au-delà de la dimension cauchemardesque, La Ménagère recherche certes l'aliénation/l'altération par le geste, cependant le travail tentera d'établir plusieurs lectures et plusieurs humeurs: comment passer d'une situation burlesque vers un état plus névrotique? Comment cette "névrose du néant", cet état de vide se transforme en élévation, en libération?
Par le(s) artiste(s)