«Unique en son genre!» est une série de projets pensés dans le cadre de recherches artistiques et plastiques sur les notions d’égalité et de genre.
Le travail avec les enfants sera axé autour du langage, des habitudes, des objets qui les entourent, de leurs jugements, leurs codes de virilités et féminités, leurs définitions intrinsèques personnelles.
Interroger ce qu’ils montrent d’eux-mêmes en société, ce qui est honteux ou honorable selon leurs points de vue de jeunes générations et l’influence qu’une construction binaire a sur eux, ou non .
Sous forme de jeux, d’interrogations, d’explorations de leurs imaginaires et d’implications plastiques par la création mais également performative dans leurs comportements il sera question de puiser en eux les rapports d’égalités et de hiérarchie qui se jouent déjà à leurs âges. Ces interventions seront des recherches parallèles à des productions plastiques qui se répondront et se nourriront mutuellement tout au long de nos échanges.
Comme le dit Judith Butler dans « Gender Trouble », la matrice des relations de genre précède parfois l’émergence de l’humain.
Qu’entend-elle par là?
Que tout nouveau-né naît dans une culture, une époque, une société, un langage.
Quand un bébé vient au monde, une des premières paroles qui va être prononcée, c’est une fille, ou, c’est un garçon, mais jamais, c’est un bébé. Quand on s’exclame, c’est une fille, on prépare, dit-elle, «la mise en fille».
La nomination est, je la cite, à la fois l’établissement d’une frontière et l’inculcation répétée d’une norme. Nommer le sexe genre à la naissance, c’est effectivement produire le sexe et le genre. Ici, le langage et le corps, grands systèmes de pensée binaire, se trouvent liés d’une façon inextricable.
« Sois fort comme un homme », « un garçon ne pleurniche pas » ou « Sois prudente », « Comme elle est jolie ta robe »... les inégalités de genre s’installent dès les premières années de la vie au travers de réflexes ancrés inconsciemment chez les adultes. Ces clichés répétés et autres sociabilisations différenciées poussent les enfants à essayer de correspondre à ces modèles. L’école aussi fabrique même inconsciemment des différences entre filles et garçons, on en constate à travers les pratiques quotidiennes et le matériel utilisé. : les albums de littérature enfantine, les manuels scolaires, le contenu des exercices. Cela pose par exemple un problème d’identification pour les filles qui ont moins de modèles et ont ainsi plus de mal à se projeter dans certaines professions mais aussi encouragent une virilité toxique avec une pression de la performance chez les garçons.
Ce projet s’intéresse à la façon dont les différences sont produites dans les échanges. Le genre est un processus, il est produit au quotidien dans toutes nos interactions, par nos institutions, différences qui vont varier bien évidemment en fonction des contextes.
Après toutes ces différenciations et avant toutes les autres à venir, comment l’imagination des enfants est-elle impactée ? Quelle est leur vision sur ce contexte genré ? À la veille de leur pré-adolescence comment peuvent-ils considérer leur regard sur le quotidien et leur relation à cet environnement ?
Le but de mon intervention n’est pas de venir prêcher la parole d’une vérité universelle que j’aurais avalée, je ne veux pas non plus voir les élèves comme les cobayes d’une étude sociologique. Par contre j’aime me poser des questions sur des choses que nous considérons comme acquises. Et j’aimerais me poser ces questions avec eux. Comment se sentent-ils différents les uns des autres ? Qu’est-ce qui au contraire les rassemble ?
Nous adopterons le jeu comme une méthode de création. Les élèves seront sensibilisés à la fabrication de leur cadre de vie. De leurs futurs possibles.
La déconstruction de la pensée binaire occidentale n’est pas l’objectif dans ce cadre. Pourtant, leurs regards, leurs imaginations, leurs créations et leurs réflexions sont une nourriture pour mes questionnements dans mes projets plastiques. Mes interventions avec eux peuvent ouvrir un espace de dialogue, d’expérimentations de groupe, de remise en question des habitudes et des stéréotypes. La sensibilisation au harcèlement à l’école est aussi un axe que je veux emprunter car il me semble lié et essentiel. Pourquoi se moquer de l’autre ? En quoi sa différence me dérange-t-elle ou me concerne ? Comment les stéréotypes genrés prennent formes sous la pression des enfants entre eux ? Dire d’une fille qu’elle est facile, pas assez féminine, pas assez mince ou bien rire d’un garçon qui pleure, qui serait moins bon au sport ou différent, sont des révélateurs d’injonctions des genres normés qui sont demandés aux enfants.
Je pense ces expérimentations sous forme de jeux, de questions ouvertes et d’exercices inspirés par certains de mes projets plastiques en les ré-adaptant à ce public.
En partant de projets que j’ai en suspens, je compte articuler cette résidence, mes recherches et mes axes de transmissions auprès des élèves.
Pour cela je compte me concentrer sur trois projets que j’ai actuellement «en cours».
Le premier aborde le langage, l’écriture et la performance autour du leitmotiv du karaoké, en ré-employant des chansons qui banalisent des types de violence, de sexisme, de misogynie. Je réfléchis à les pratiquer comme des objets d’empowerments culturel. Je cherche à prendre le contre-pied d’instrument de standardisation d’un patriarcat décomplexé. Sans en faire la simple négation, la censure ou encore son opposé, comment se ré-approprier des médiums populaires, interactifs et didactiques comme des paroles de chansons sous forme de karaoké ?
Le second projet part d’une réflexion sur le paradoxe des objets genrés, aussi bien dans leurs utilisations, leurs pronoms, leurs couleurs, leurs marketings, etc. Pourquoi différencions-nous les hommes et les femmes au point de penser qu’ils ne peuvent pas utiliser par exemple le même rasoir ou vêtement ? Pourquoi dans notre vocabulaire donnons nous un genre à des objets inanimés ?
Ce qui m’emmène directement jusqu’à mon troisième projet : comment puis-je contourner les objets emblématiques de nos rôles de genres ? Il s’agit d’une réflexion autour du détournement d’objets représentant un genre spécifique dans l’imaginaire commun. En tant qu’artiste j’aimerais considérer ces objets comme matière créative. Je chercherai à les repenser pour casser des clichés genrés autour d’eux.
Il est intéressant pour moi de travailler avec des élèves sur ces sujets car cela me permet de comprendre comment évoluent ou non les nouvelles générations après des bouleversements comme Metoo, Balancetonporc, Roman Polanski, le mariage pour tous etc. Quelle différence y a-t-il entre leur génération et la mienne ou celle de leurs parents ?
Cette résidence me permettrait d’avancer en travaillant avec eux sur des travaux qui manquent, selon moi, de recherches, d’expérimentations, de temps et d’espace. Enfin, c’est une occasion pour moi d’accompagner une nouvelle génération vers l’évolution des mentalités, une bienveillance affirmée envers les autres malgré leurs différences et une société plus égalitaire.
Par le(s) artiste(s)