Rencontre avec les élèves, création d'un espace de confiance, de parole et exploration de leurs notions.

Pardon si j'écorche les prénoms !

Publié par Nadège Sicard

Journal du projet

La route est longue de Porto-Vecchio à Afa, surtout sans radio ! Mais je dois avouer que même sans direction assistée, les presque trois heures de paysages que ces routes de montagne m'offrent valent le coup. Quelques détours offerts par un GPS perdu et je perds l'avance que j'avais prévu, me voilà arrivée juste à l'heure !

"NE FAITES PAS DEMI-TOUR DEVANT L'ÉCOLE" me hurle en majuscules un panneau Vigipirate.

Le grand portail s'ouvre au rythme d'un gyrophare orange. Marie-Pierre Matraja, l'institutrice, est juste derrière. Elle m'accueille avec un sourire que je devine sous son masque.

Les enfants viennent de rentrer en classe. J'ai l'air attendue, ils sont assis mais trépignent d'impatience.

Je passe la porte et retentit un "Bonjouuuur !" en coeur aux yeux plissés.

Pas le temps du trac, je pose mon sac et on commence !

Je me présente,

"C'est quoi artiste plasticienne ?" "Vous voyez quand vous faites de l'art plastique ? Moi j'aime tellement ça que c'est devenu mon métier !"

J'explique également que je suis venue ici pour travailler avec eux, que nous allons jouer ensemble et créer en même temps des choses ;

"Parce que jouer c'est chouette même quand on est adulte ?" Oui, et créer c'est souvent jouer d'une certaine manière !

Je ne connais pas encore ces visages qui lèvent déjà les mains pour prendre la parole, je leur demande donc d'écrire leurs prénoms sur une feuille devant eux.

Aux rires de certains quand je les interroge je comprends que je ne prononce pas toujours de la bonne manière.

"Pardon si j'écorche des prénoms ! N'hésitez pas à me reprendre si je fais une faute en vous appelant !"

Effectivement, la prononciation corse ne m'a pas encore livré tous ses secrets mais les enfants m'apprennent certaines subtilités avec plaisir et complicité, durant ces petits instants anodins nos rôles s'échangent, ce sont elles et eux qui m'enseignent et nos statuts deviennent poreux. C'est ainsi que la mise en confiance débute, nous avons fait sans même nous en rendre compte les premiers pas vers un espace d'échange et de libre expression.

Après m'être présentée et avoir résumé les raisons de ma présence nous nous dirigeons vers le hall, ce grand espace nous servira à chaque début de séance pour des exercices d'échauffement et de brise-glace qui permettra aux enfants un rituel de début mais aussi des exercices pour s'entrainer à porter distinctement la voix, appréhender l'espace qui les entoure etc.

Puis retour en classe et temps d'échange.

L'important est de leur faire comprendre que mon rôle est différent de celui de la maîtresse. Avec moi, il n'y a pas de mauvaise réponse ! Nous allons nous poser des questions auxquelles chacun a le droit d'apporter sa réponse avec son interprétation. Et elles sont toutes valables !

Je veux en savoir plus sur leurs notions, ce qu'ils pensent d'eux même et des autres. L'espace de discussion est ouvert, je réponds instinctivement "d'accord", "okay" ou "très bien" à toutes les réponses pour bien leur faire comprendre qu'elles·ils ont bien fait de lever la main pour donner leurs avis. Je me permets uniquement de demander des précisions lorsque je ne suis pas sûre d'avoir bien compris ce que l'enfant veut dire ou répéter lorsque l'élève parle moins fort car je sais que le dictaphone n'est pas toujours très précis.

Les premières réponses se font timides mais rapidement les mains se lèvent de façon plus frénétique, les langues se délient. Chacun veut partager sa vision, ses expériences, ce qu'elle·il a remarqué comme pratique.

Ces moments de communications vont alimenter plusieurs heures d'échanges. Les enfants sont enthousiastes, leur intérêt n'est que croissant et me motive encore plus.

"- Nadège, tu es psychologue aussi ?

- Non pas du tout pourquoi ?

- Parce que tu nous écoutes beaucoup beaucoup, tu dis que rien n'est faux et tu nous fais du bien, ça ressemble un peu à une psychologue !"

(Dommage que je n'aie pas mon dictaphone sous la main à ce moment là, j'aurais bien aimé me garder cette phrase..!)

Voici un extrait de nos échanges.