Le vendredi 28 juin je vois les élèves individuellement puis c'est le l'heure de leur dire au revoir.
Dire au revoir. Dire au revoir en sachant au fond de soi par expérience (certes encore jeune mais déjà présente) que l’on pourrait tout aussi bien dire adieu… Adieu et bonne route.
Ce vendredi 28 juin je suis soulagé que la restitution de la veille se soit si bien passée et je ne réalise pas encore que c’est déjà la fin.
Je viens à l’école pour voir les élèves individuellement, il me tenait à cœur de leur dire tout le bien qu’il faut qu’ils entendent, qu’ils sont beaux, bons, courageux, étonnants, précieux, qu’ils ne faut pas qu’ils changent trop, que devenir adolescent ne doit pas les faire rentrer dans les moules trop préconçus et trop évidents de nos sociétés, qu’ils doivent pouvoir continuer de pleurer et de se toucher avant que leur corps ne devienne un ennemi et qu’il soit sujet de moqueries, qu’il faut qu’ils n’écoutent jamais ces moqueries que jamais elles ne pénètrent en eux car elles sont futiles, qu’ils doivent continuer de rire et de rêver comme ils font si bien, continuer d’être attentionné les uns pour les autres comme ils font si bien, que le temps passé avec eux est ce qui me ravit le plus, plus que de jouer dans de grandes salles parisiennes de magnifiques spectacles, que je suis profondément triste de devoir les quitter maintenant.
Une fois cela fait, je reviens en classe. Je reparle un peu du texte que j’ai lu la veille, de Création en Cours, de tout ça. Je leur propose de m’amener leurs cadeaux que je savais qu’ils avaient. Puis je leur dis que j’ai moi aussi un cadeau, que c’est un cadeau un peu spécial. Ce cadeau c’est un autre bout du spectacle, c’est une déclaration d’amour à la lune par homme-loup. Je leur dis ça et leur propose de fermer les yeux. Je lance une musique, je ferme les miens, je me mets à chanter. J’ai peur car paradoxalement et jusqu’au dernier moment je doute de l’intérêt de cette recherche que j’ai menée au sein de Création en Cours pour des enfants, j’ai la voix qui tremble et je sens vite une agitation dans la salle, je me dis que je n’aurais pas dû faire cela que c’était trop ambitieux. Et puis je comprends. Toujours les yeux fermés. Je comprends. Que les enfants. Pleurent. Bruyamment. A chaudes larmes. Ils pleurent. Ils pleurent parce que c’est magnifique de pouvoir vivre encore ce genre de moment, ce genre de rencontre en dehors de l’espace et du temps. Ils pleurent et dans mon cœur je pleure aussi. Et puis le chant et la musique s’arrêtent, j’ouvre les yeux et je les vois, presque tous pleurent et ils ne s’arrêteront pas je pense. Je dis : « Maintenant je vais partir, je vais faire une bise à chacun et je vais retourner dans la forêt. ». Je les embrasse, ils ne peuvent plus s’arrêter. Nous partageons une étreinte avec François. Deux des enfants ont encore le temps de lire un magnifique poème qu’ils ont écrit pour moi le midi, l’un des deux s’effondre en larme en lisant. Je pleure maintenant moi aussi. Je me lève mes cadeaux sous les bras, m’approche de la porte. Je leur demande une dernière fois leur rituel d’accueil et de célébration (faire le plus de bruit possible en tapant sur sa table), ils essayent mais ils sont trop secoués par l’émotion, je crie « Plus fort ! », ils vont plus fort, je ferme doucement la porte sur moi. C’est fini. Je ne les reverrai sans doute pas. Et en même temps, qui sait…