Épreuves #1 - Inventer d'autres modalités de création
Publié par Emma Pasquer
Le
22 avril 2020
Journal du projet
Lundi 16 mars 2020, veille de ma première semaine de résidence de création, je me retrouve confinée dans mon appartement. J'avais tant espéré un plateau et me voici à penduler entre chambre et salon. Je me dis que cette situation, absolument inédite, résonne étrangement avec le sujet de ma recherche ; et qu'il y a comme une ironie du sort à se retrouver enfermée avec cette question, toujours la même : qu'est-ce que l'autisme nous dit de nous ?
"Nulle part où aller." Ces mots-là résumaient la nature du piège de mon existence dans un raccourci digne de Shakespeare. [Donna Williams, Si on me touche, je n'existe plus]
Au début, je me dis que c'est tant mieux et que moi qui désirais prendre le temps de creuser, d'écrire, de rêver avant que de "faire du résultat", je suis servie. Alors je lis : je découvre le témoignage de Donna Williams, je me plonge un temps dans la littérature scientifique sur l'autisme que la toile m'offre, j'écoute des podcasts et des conférences plus ou moins en relation avec le sujet ; je visionne des images de mon enfance, de ma fratrie. Je rêve. À intervalles réguliers, je retrouve mes compagnons de création sur Skype : je leur envoie quelques textes, je leur raconte mes pistes. Je commence à écrire aussi.
Mais très vite, je m'essouffle. J'ai la sensation d'être en train de rédiger un article, une thèse même - impression de déjà vu, de déjà fait, hors-contexte ici. Ma pensée se trame en discours et mon coeur se tasse. "Conférence-performance" avais-je annoncé : la seconde variable affaiblie, empêchée même, c'est le sens de mon entreprise qui se délite. Il manque, sur ma page et mon écran, plusieurs dimensions que seul le plateau offre : l'espace et le temps ; mais ce qui me fait défaut, surtout, ce sont les multiples relations qui se tissent à l'intérieur de cet espace-temps singulier. Or c'est dans ces interstices que se loge la réponse à ma question, j'en suis sûre. Dans ces espaces entre - les mots, les images, les secondes, les gens - qui contiennent la promesse de secrets à découvrir, ou simplement écouter.
Sûrement que ce que j'ai à dire se situe / entre / les mots / Et pourtant / il me faut parler
Alors je me mets à assembler, à coller, à monter. Je me retrouve en tête à tête avec mon téléphone portable et je me prends au jeu de ce dialogue. Je le regarde, il me capte. Il témoigne de ma rêverie. Face à mon ordinateur, je plonge dans mes archives et les étale, les déroule, les superpose. Je joue avec elles et elles se jouent de moi : de mes souvenirs erronés, de mes théories esquissées puis vite rangées, de mes arrogances toujours avivées par le vertige de créer. Elles me bercent et me ramènent au désir de raconter et de toucher. Ainsi, je me crée un support d'exploration virtuelle, où faire danser les matériaux qui m'intriguent et me troublent en espérant laisser apparaître des pistes.
Épreuve. J'écris spontanément ce mot sur mon écran. Je le regarde. C'est ça. Ce sont des épreuves. À l'instar des essais, manuscrits, clichés, rushs, qui rythment tout processus de création. Épreuves aussi, comme certains événements qui balisent nos existences ; comme celle que nous sommes en train de vivre. J'ai la conviction que dans sa polysémie, ce mot a quelques choses à m'apprendre, à me révéler peut-être. Je le laisse baptiser ce nouveau support de recherche, multimédia et néanmoins artisanal, que je choisis d'intégrer à mes protocoles de création. Et je vous livre la première capsule.
