Lundi 16 mars 2020.
Jour où nous devions prendre la route de l’école de Fontaine-Henry. La Normandie attendra, et nous aussi.
Puis finalement, après de longues semaines de doutes ponctuées d’échanges réguliers avec Isabelle Carlier, l’enseignante de la classe de CM1-CM2, les contours d’une drôle de rentrée des classes se dessinent peu à peu.
L’envie est vive même si les conditions de reprises nous obligent à ajuster largement le travail prévu avec les enfants. L’écriture d’une forme collective jouée n’est plus possible, les ateliers de construction de décors non plus, il faut envisager autrement la résidence, avec des formes de travail plus individualisées sans lâcher l’idée d’une réalisation collective au bout de l’aventure.
Appréhender, questionner, manipuler l’espace et jouer, autant que possible.
C’est aussi une occasion inattendue pour les enfants et pour nous de se rencontrer après cette étrange période et nous la saisissons pleinement. Echanger avec ils.elles sur cette traversée, écouter leurs doutes, leurs peurs mais aussi leurs désirs, leurs projections sur l’avenir. Alors, on a hâte – même si l’on se demande un peu où l’on va atterrir…
Lundi 11 mai 2020.
Nous passons le pas de la porte de la petite école.
Marquages au sol, protocoles de désinfection et masques à nos noms.
Le décor est planté mais le climat est serein, loin de réalités anxiogènes qui semblent être l’apanage de régions plus durement touchées par l’épidémie… La bonne humeur qui règne au sein de l’équipe enseignante et des femmes en charge de la cantine - qui assurent la désinfection ingrate et maintes fois répétée des espaces de l’école - installe une ambiance assez joyeuse qui déteint sur les enfants.
Certain.e.s sont inquiet.e.s mais ils.elles semblent ravi.e.s d’être de retour en classe et ne se laissent pas submerger par les nombreuses règles à appliquer : distanciation des élèves en classe, dans la cour et lavages de main réguliers.
Deux salles de classes, les enfants sont au nombre de 9 dans l’une, 7 dans l’autre. Un bureau est attribué à chacun.e, ils.elles garderont le même jusqu’au 6 juillet. Le matin, nous travaillons avec une demi-classe, puis avec l’autre l’après-midi.
C’est court, le temps file mais il est confortable de travailler en effectif réduit.
Le temps des présentations.
Nous nous démasquons un court instant, le temps pour élèves de découvrir nos visages.
Comment savez-vous que c’est moi l’architecte ?
"Parce que tu as des lunettes."
Et pourquoi dites-vous que c’est moi qui fait du théâtre?
"Parce que comment t’es habillée."
Pour apprendre à les connaître, on se prête ensemble au jeu du questionnaire chinois.
Si ton village était un fruit, lequel serait-il ?
"Du cassis parce qu’il en a beaucoup."
Si ton village avait une maman ?
"Ma voisine, la doyenne du village."
Si ton village avait un ennemi ?
"Thaon (le village le plus proche), les habitants ils roulent trop vite !"
"Et puis il n’y a jamais ce que l’on veut au Casino !"
"Et puis dès qu’on veut aller jouer là-bas, il y toujours du monde sur le terrain !"
Thaon donc.
Ou Paris.
"Les Parisiens c’est nul, quand on joue au ballon et qu’il va sur leur jardin, on ne peut jamais le récupérer parce qu’ils ne sont pas là."
Qu’offrirais-tu à ton village pour son anniversaire ?
"Une fontaine."
Puis sur une feuille, un mélange de toutes ces réponses en dessin, représentation mentale et imagée de leur village, où tou.te.s furent confiné.e.s…
Vient ensuite le temps du jeu. Thylda Barès à la baguette.
On sort dans la cour de récré, disposé.e.s en cercle, à distance les un.e.s des autres et l’on s’envoie des gestes.
Observer le groupe, être attentif aux autres, à soi, recevoir le geste, le faire à son tour puis le transmettre à un.e autre. Et ainsi de suite. On ajoute des gestes à mesure que l’on progresse. Les corps s’appréhendent, à distance certes, et une jolie énergie collective se dégage.