Le jour du Biskvi

Journal 9 - Le jour du Biskví 

Publié par Stéphanie Vivier

Journal du projet

 

Le jour du Biskví 

Après avoir mis Karen Mose à l’épreuve du travail des enfants, je tente, pour le 29 février que j’écris en ce moment « Le jour du biskví », de me constituer moi aussi un travail de terrain, traversé par différents groupes avec qui je peux échanger. Ce terrain est bien sûr moins exigeant que celui d’un-e anthropologue, mais il a l’avantage d’exister dans le monde, et de venir nourrir la fiction d’éléments de la réalité, crédibles et extérieurs, en dehors de ce que je peux envisager seule. En réalisant ces recherches en lien avec de vrais interlocuteurs, je peux notamment intégrer dans la fiction les difficultés réelles auxquelles se confronteraient les personnages du livre, lors de l’élaboration et de la mise en oeuvre de leurs 29 février.

Le chapitre « le jour du biskví » met en scène trois groupes de femmes françaises et Islandaises qui proposent à Karen Mose une performance parlée-chantée. Trois groupes issus de régions différentes, trois femmes de Bretagne, trois femmes du Nord de la France, et trois femmes Islandaises. Elles souhaitent toutes les neuf proposer un rituel qui commémore la rencontre, puis la relation franco-islandaise qui s’est nouée lors de la pêche à Islande. Chaque groupe de performeuses prend place sur une plage d’un front emblématique de l’histoire de la pêche à Islande : les unes sur une plage de Binic, les autres à Dunkerque, les troisièmes sur une plage de sable noir en Islande.

La polyphonie qu’elles créent dans cette pièce parlée-chantée réunie et articule trois parties qui renvoient chacune à l’histoire de leur territoire. Mais, elle chantent en commun, rappelant ainsi la rencontre et sauvegardant cette histoire collective. Elles s’expriment en « sabir » franco-Islandais, véritable objet linguistique : c’est une langue au carrefour des trois ports, mêlée de français, d’islandais, de breton et de flamand. Elle est apparue et s’est développée autour du troc franco-islandais lors de l’arrivée des marins français sur le sol islandais : biscuits-pommes de terre-cognac côté français, contre mitaines et chaussettes côté islandais (pour que les marins français puissent continuer la campagne de pêche dans les moins mauvaises conditions possibles). Une langue sur-mesure, faite du besoin de nourriture et de vêtements de travail. Elle doit beaucoup au biscuit breton, principale monnaie d’échange : on comptait en biscuits comme on compterait en pièces. Pour pouvoir écrire cette pièce parlée-chantée en sabir, langue dont il reste très peu de traces, je prends contact avec des linguistes, écrivains, archivistes, passionnées, anciens marins, spécialistes du flamand occidental, enseignants, personnels de musée patrimoniaux français et islandais, famille de pêcheurs, archéologue du vinyle. Des informateurs très investis prennent contact avec deux traducteurs franco-islandais, des écrivains, anciens stagiaires du musée français en Islande, des directeurs de théâtre, les archives sonores Islandaises ISMUS, des metteurs en scène, une petite fille d’armatrice. Nous cherchons sur tous les fronts.

Pendant la résidence, j’oscille entre recherches sociolinguistiques autour du sabir, scénographie de la performance et travail d’écriture. Le chapitre que j’écris, nourri de ces rencontres et de ce terrain, reprend les différentes étapes de création du rituel parlé-chanté franco-islandais, dont Karen Mose accompagne la mise en oeuvre. Elle suit la progression, les recherches, et les difficultés des personnages, les aide dans leur entreprise, chasse le sabir, voyage sur les trois fronts, et replace leur proposition dans l’histoire des territoires concernés. Je fais en sorte que le travail de création s’imprègne d’un terrain que j’apprends à délimiter.

 

*biskví = « Biscuit » en sabir Franco-Islandais.

A la battarí fransí, biskví ! À la patrie, français, biscuits !

Cris de joie des enfants Islandais à l’arrivée des marins français qui amènent des gâteaux. (Une terre volcanique : ni blé, ni farine, ni gâteaux).

Enregistrement de sabir franco-islandais

Après plusieurs semaines de chasse au trésor, et l'aide de nombreux complices et informateurs, je reçois ce très vieil enregistrement d'un homme interviewé par sa femme. Il se remémore la langue et les mots échangés au port avec les marins français au début du siècle. J'avais envoyé des lettres à ses quatre enfants en Islande, son petit-fils me les a transmis par mail.