Vue de la fenêtre du train Toulouse-Paris. 7h.

Quand je m'ennuie, je vis plus longtemps

Publié par Guisane Humeau

Texte imaginé comme une voix off, une voix intérieure qui s'observe en dedans. Elle accompagne l'auditeur/spectateur dans sa déambulation immobile au pays du délicieux désœuvrement. Elle fera partie d'une installation sonore qui a pris récemment le nom de "Temps morts".

Je m'ennuie.

Je m'ennuie, je ne tiens pas en place. Mes organes internes, mes yeux, mes orteils : tout s'agite. Mes dents se serrent. Mes os craquent. Tout bouge, oscille, remue. Les pores de ma peau se sont refermés. J'ai faim de ce qui ne se mange pas.

Je vois le temps s'étirer devant mes yeux.

Quand je ne m'ennuyais pas, je voulais retenir le temps entre mes doigts, il glissait.

Je m'ennuie et maintenant je veux le tuer. Tout ce temps qu'il faut tuer. Chaque seconde est du temps qui meurt. Chaque seconde, on est un peu tué par le temps. Pourtant enfant je pensais que quand je m'ennuyais je vivais plus longtemps. Je le pense encore. J'en suis encore sûre : mon corps ralentit lui aussi. Les réactions chimiques dans mes cellules se suspendent pendant des temps imperceptibles mais bien réels. Je m'ennuie.

Je sens le temps dans mes organes. Il n'est plus un concept abstrait que je dois surveiller grâce à une montre. C'est une masse compacte, sombre et moite comme la sueur de la nuit. Je ne sais pas si elle est chaude ou froide. Je pourrais presque la toucher si elle n'était pas aussi insaisissable. Je pourrais presque la tailler. Je pourrais presque sentir son odeur.

L'odeur du temps. Un fruit pourrit sur le rebord d'une fenêtre, une plante pousse là où rien ne pousse, je ne sais pas si ça pue ou si ça sent bon.

C'est une souffrance terrible de se sentir être à ce point. Le fruit trop mûr continue de pourrir sans avoir été mangé. Je vois tout sans rien regarder. J'entends tout sans rien écouter. Je sens tout sans rien ressentir. Je refuse de sortir de moi-même et je suis coincée, à l'étroit entre mes côtes. L'air ne veux plus circuler. Je l'avale sans le respirer.

Confondue, soluble à force de lui résister, je devient poreuse au monde. Je suis plus réveillée que jamais. Mes pensées semblent à la fois plus claires et plus embrumées. Plus émoussées et plus acérées. Palpables.

Ma carapace est plus fine. Je fais l'expérience de moi-même. Je me sens être. Je me demande même si ce n'est pas le seul endroit où j'existe vraiment. L'infinité de champignons, de bactéries et de virus qui m'habitent crie. Ils s'agitent, ils se tuent. Tout mon être hurle tout bas son existence.

C'est quand tu fais rien. C'est quand tu veux rien faire.

Les enfants de la classe se sont posés des questions les uns aux autres pour mieux comprendre pourquoi et comment ils s'ennuient. J'en ai réuni des bribes qui entrent en résonance très fort avec mes recherches.