"Ariane/Barbe-Bleue" est un projet trans-média destiné au jeune public d'après l'opéra Ariane et Barbe-Bleue ou la délivrance inutile de Maeterlinck.
Descendant direct des ogres qui dévoraient femmes et enfants, Barbe-Bleue est le bourreau par excellence, symbole d'une virilité violente avec sa grande barbe, son épée et sa richesse démesurée. Ici, il fait face à Ariane, figure mythique et héroïne déterminée, sans peur, venue percer le secret du monstre. A ce duo persécuteur/sauveur viennent s'ajouter les anciennes épouses victimes de Barbe-bleue et le témoin clef (?) de cette histoire : le peuple. Mais certains pas vont pas tenir le rôle qu'on attendait d'eux.
Ce conte déroute, bouscule nos certitudes et met en lumière la complexité d'une histoire a priori binaire. Le projet "Ariane/Barbe-bleue" propose de l'explorer sous deux formes : un spectacle de la Compagnie Implicite et une exposition réalisée par des enfants.
ARIANE ET BARBE-BLEUE ou la délivrance inutile.
"D'abord, il faut désobéir : c'est le premier devoir quand l'ordre est menaçant et ne s'explique pas". Tels sont les premiers mots d'Ariane, héroïne mythique au fil légendaire, que Maeterlinck convoque dans le château de Barbe-Bleue. C'est elle, devenue sixième femme du monstre, qui s'est vue confiée le trousseau des clefs du château. Comme dans le conte de Perrault, Barbe-Bleue l'a autorisée à ouvrir toutes les portes sauf une dont elle détient néanmoins la clef. Mais contrairement à son homologue du XVIIème siècle, c'est la liberté et non la peur qui guide Ariane, convaincue de retrouver vivantes les anciennes épouses de son nouveau mari. "Je vais chercher la porte défendue [...] Tout ce qui est permis ne nous apprendra rien".
Maetrlinck sort d'emblée du contre traditionnel qui oppose un homme dominant incontrôlable et une épouse vulnérable, victime de sa curiosité. Comme un écho indéniable aux récentes libérations de la parole des femmes à travers le monde, Ariane, qui "obéit […] à d'autres lois que [celles de Barbe-Bleue]" et appelle "ses soeurs" à "se délivrer [elles]-mêmes.", sort de sa condition de victime.
Mais très vite, la pièce bascule et cet affrontement cède la place à la rencontre entre l'héroïne affranchie et les six épouse captive qu'elle est venue délivrer. Peut-on être sauvé par quelqu'un d'autre que soi? Le héros a-t-il ce pouvoir?
Au dehors, le peuple demande la tête du bourreau mais suffit-il de se débarrasser du tyran pour être libre? Doit-on utiliser la violence pour arrêter la violence? Et surtout, si Barbe-Bleue coupait sa barbe, serait-il toujours Barbe-Bleue?
La fin de cette histoire semblait toute tracée, Ariane délivrant "ses soeurs" du joug du monstre, mais Maeterlinck en décide autrement. Celles-ci refusent de suivre celle-là venue les libérer, lui préférant leur bourreau. Ariane, en pleurs, quitte le château, les femmes de Barbe-Bleue refermant la porte sur elle, la pièce s'arrête net sur ce retournement de situation : par un retour apparent à la situation initiale. Si les captives choisissent de ne pas s'enfuir, sont-elles toujours victimes? Le héros peut-il conserver son titre?
Le texte ne donne aucune réponse. Il surprend au contraire, déstabilise et questionne nos certitudes..."Le théâtre, qui est selon l'étymologie du terme, le lieu d'où l'on voit, devient pour Maeterlinck le lieu où l'on constate qu'on ne verra pas. Il y aurait donc un leurre à faire croire que le théâtre donne à voir des vérités. Au contraire, le théâtre est le lieu qui montre à l'homme sa condition d'aveugle" nous dit A. Jaquemard-Truc dans un texte consacré au dramaturge. C'est ce qui nous intéresse ici.
ARIANE/BARBE-BLEUE : UN TEXTE, DEUX OBJETS.
Le projet "Ariane/Barbe-bleue" se compose de deux objets complémentaires afin de permettre au spectateur de se plonger dans cette oeuvre mystérieuse : un spectacle de la Compagnie Implicite en direction du jeune public et une exposition réalisée par des enfants pour les enfants. Alix Mercier, scénographe à l'origine du projet, sera le fil conducteur de ces deux propositions.
LE SPECTACLE
Le premier volet du projet est une adaptation de cet opéra vers le théâtre. L'enjeu consistera à révéler la richesse du texte qui joue habilement de nos préjugés pour mieux les détourner et à faire des choix de mise en scène francs mais ouverts qui questionne tout en laissant le soin des réponses.
Dans cette optique, plusieurs axes de recherche seront exploités au long de la création. Il s'agira tout d'abord de conserver la poésie symboliste et imagée de Maeterlinck tout en s'amusant avec cette langue d'un autre monde à la fois sublime et désuète.
Ensuite, il conviendra de choisir soigneusement ce que l'on veut montrer au spectateur comme nous le suggère Boileau : "Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose / Mais il est des objets que l’art judicieux /Doit offrir à l’oreille et reculer des yeux." Effectivement, dans cette pièce, l'action se déroule presque toujours hors de la vue du public. L'auteur le sous-entend dès la première didascalie : « le rideau se lève et l'on entend immédiatement, à travers la musique, les voix de la foule invisible. ». Il utilise fréquemment l'hypotypose en faisant décrire à ses personnages des événements ayant lieu hors-scène et auxquels ils assistent depuis une fenêtre ou derrière une porte. Sans oublier la volonté de Maeterlinck de plonger dans le noir pratiquement tout un acte de la pièce (proposition très osée, surtout pour l'opéra, qu'à ma connaissance aucune production n'a encore suivie).
Le défi sera donc de mettre en scène ou hors-scène ce conte pour laisser un maximum de place à l'imaginaire. De travailler en partenariat étroit la scénographie, le son et la lumière pour concevoir un espace qui ne soit pas entièrement dévoilé, un espace qui suscite des images et des ailleurs, tel un placard fermé la nuit où se nichent les plus beaux monstres.
Enfin, le travail des interprètes au plateau permettra de secouer les figures du monstre sanguinaire, de l'héroïne impartiale, de la victime soumise ou du bon peuple et de confronter au réel et/ou au présent ces personnages aux aventures "extra-ordinaires" et aux mots d'un autre temps.
L'équipe du spectacle est composée de Marie Demesy pour la mise en scène, Solange Dinand pour la conception lumière et Alix Mercier pour la scénographie et l'adaptation du texte. La distribution complète est envisagée dans un deuxième temps de création. Le spectacle, aujourd'hui en recherche de partenariats, est prévu pour la saison 2021-2022.
L'EXPOSITION
Sous la forme d'installation dans le hall des théâtres où sera joué le spectacle ou d'un catalogue d'exposition à disposition des spectateurs (et distribué aux accompagnateurs de groupes), le public aura accès à d'autres interprétations du texte de Maeterlinck. Construite à partir de moyens d'expressions dont ils sont familiers (le dessin, la peinture, le bricolage) et avec leurs mots, cette exposition permettra aux enfants de se réapproprier ce conte que les adultes leurs avaient emprunté.
NB : "Vous ne regrettez pas la lumière du jour, les oiseaux dans les arbres et les grands jardins verts qui fleurissent là-haut? [...] Avez-vous oublié?" Depuis nos vies confinées, certaines thématiques de la pièce raisonnent tout autrement. Les fenêtres comme ouvertures vers le monde, la peur, les héros auto-proclamés, l'enfermement (volontaire?), le désir d'extérieur et le doute au moment de franchir le seuil d'une porte, la capacité de révolte. Il s'agira d'y repenser en reprenant le chemin de cette création.
Par le(s) artiste(s)