Filles, femmes, portraits en communauté est un projet de création transdisciplinaire sur les identités féminines. L'image documentaire, le texte et l’installation vidéo/audio seront les matériaux de ce projet. Qu’est-ce qu’être une fille, une femme? De l'individuel à l'intime, de la confession au récit collectif, il s’agira de créer, exposer et mettre en lumière un ensemble de portraits dits « féminins » construits selon le regard d'un groupe d'enfants. Je recueille ces récits et investigations auprès d'élèves d'une classe de primaire, qui seront aussi amenés à enquêter à l'extérieur. Le point de vue, bien que collectif, sera résolument critique et féministe puisque je guiderai leurs visions. Le but de cette résidence sera de transmettre aux enfants le goût de l'analyse dans une démarche de partage et d'apprentissage de pratiques artistiques. La résidence se terminera par une exposition-installation d’une multitude de portraits féminins comme matières à interroger cette notion.
Cette résidence avec les Ateliers Médicis me permet d'approfondir dans un cadre éducatif une thématique qui me tient à cœur, déjà amorcé dans ma série documentaire sur les femmes paysannes. Je veux explorer par l'image, le son et le texte les identités féminines vues par les enfants. L'identité, nos identités est aussi une affaire de projections visuelles, mentales et d'imagination. C’est pour cela que ce projet collectif s’attachera à déconstruire un entrelac de représentations, d’images et de descriptions bien éloignées de la réalité. A l’école, la socialisation secondaire enferme souvent les filles et les garçons dans des rôles prédéfinis. Cette résidence qui alternera temps de parole, de découverte, de rencontres et de création sera l’occasion d’interroger avec elles/ eux ces rôles, jusqu’à l’exposition finale. La diversité des points de vue ira de pair avec la diversité des formes que prendra l’exposition de cette multitude de portraits.
Filles, femmes, portraits en communauté
L’enfance est un présent en construction qui se charge de désirs et de rêves. L'âge adulte est la confrontation au réel et ses complexités. La femme qu'on est, fille qu'on était, celle qu'on voudrait être ou devenir, celle qu'on admire sont des questions cruciales avant l'adolescence que je souhaite "enregistrer" lors de cette résidence. Comment cette vision de l'identité féminine se construit à travers le regard d'une fille, ou d'un garçon ? Pour ce projet, les enfants dresseront le portrait de femmes/filles de leur entourage. La parole et le discours seront matières à évoquer leurs aînées ou cadettes, ou elles-mêmes. Qu’est-ce qu’être une femme? Comment la définir, la décrire à partir de ce postulat ? Il y a des femmes/filles-modèles, des femmes anti-modèles. On peut la décrire par son métier, son caractère, ses habits, sa passion : le foot féminin, une carrière d'avocate, un mari..
Dresser un portrait documentaire visuel
Ces portraits féminins, une fois exposés dans l'espace seront individuels, pluriels, éclatés. Les élèves (filles et garçons) décriront chacun.e avec leur regard leurs amies, filles uniques, sœurs, mères, connues ou pas, voisines, grands-mères, commerçantes, maîtresses, mais pas que. Des photos de famille commentées par les enfants, comme témoins d'une histoire familiale. Des regards caméras de mères silencieuses. Le visage d'une "femme qu'on admire" projeté en grand format sur un écran ou un mur.
Ma pratique de cinéaste s'ancre dans le réel. Les visages seront filmés, l'enquête documentaire sera mise au premier plan. La description physique d'une personne donne accès à tout ce qui l'entoure et la conditionne : environnements, intériorité, caractère. Dans une société rurale ou urbaine, on n’est pas (on ne naît pas) fille de la même manière. Les portraits, d’abord pris sous l’angle de l’enquête et du "réel", créent des histoires familiales, amicales, personnelles, sociologiques. Entre ces histoires, plurielles et individuelles, des liens se tissent. Avec la démarche d'une réalisation progressive, j'adapterai le sujet de ce projet en fonction du cadre de l'école et les personnes rencontrées à Deshaies.
Mise en situation de la parole
L'une des fonctions de la parole est de raconter. Se raconter soi, raconter l'autre. On se livre par le témoignage et par la parole. On interroge, on répond. On pose des questions. On cherche la vérité. On décrit. On cherche à décrire. On argumente. Les débats des élèves sur l'identité féminine pourront être enregistrés. Tout au long de cette résidence, l'accent sera mis sur l'enquête et la manière de raconter l'histoire d'une autre, ou sa propre histoire, d'où peut surgir l'émotion.
Le discours arrivera sous la forme documentaire, d'une parole prise sur le vif, mais également sous la forme narrative.
Le portrait par le texte et la poésie.
Balzac, dans ses romans réalistes, s'attache à décrire des individus, des visages mais aussi des histoires. L'infinie richesse d'un portrait se matérialise aussi dans la beauté de la langue de celui qui décrit. Dans Strange fruit, toute la douleur de l'autrice transparaît dans l'effort de la métonymie. Dans ce projet, la parole n'est donc pas qu'un outil : elle est un élément du tableau. Nous nous inspirerons de textes littéraires, poétiques, chansons pour raconter. Le texte sera sous forme visuelle et sonore. Il se matérialisera par des paroles ou des débats enregistrés, des poèmes déclamés, mais il se glissera aussi dans l'exposition sous forme papier. La poésie ne se calcule pas. Elle se vit et se lit. Le langage porte la vérité de l'être. Le discours le travaille et l'expose. La poésie le transforme et le sublime. Les poètes de la négritude montrent la condition humaine des «nègres » de l'histoire avec l’audace de se « regarder soi ». Pour ce projet, les élèves auront également l'audace de regarder les femmes telles qu'elles sont ou telles qu'elles pourraient être, au travail, dans la rue, à l'école.
L'installation vidéo et sonore
La résidence prendra la forme finale d'une exposition. L'installation vidéo et sonore permet d'inscrire ce travail collectif dans un vaste espace : cour de récréation, bibliothèque, salle associative. Les spectateurs seront amenés à y déambuler, comme au musée. Dans cet espace, il y aura un aller et retour entre le son et l'image vidéo, entre le regard et l'écoute. Les différents portraits de filles/femmes qui auront été réalisés tout au long de la résidence, seront projetés sur murs ou écrans, diffusés sous forme textuelle et visuelle : lecture en voix-off diffusée en boucle, série de plans fixes sur les filles de la classe, autoportraits poétiques écrits sur les murs, montage musical, vidéos en noir et blanc projetées en surimpression sur d'autres images fixes en couleur, etc.
De l'école vers l'extérieur
Dans ma démarche, j'accorde une grande importance au cadre dans lequel évolueront les élèves. Ma connaissance du secteur associatif a favorisé ma culture du travail en collectif. L'association la Fraternelle (39), où j'ai travaillé en tant que projectionniste organise régulièrement des résidences d'artistes et des ateliers de création pour les scolaires. Je souhaite travailler avec une telle structure pour donner à ce projet une dimension solidaire et ouverte vers le quartier, le village, la ville. L'installation vidéo et sonore de Filles, femmes, pourrait donc prendre place, pour quelques jours, dans les locaux d'une association ou d'un collectif sensible à l'art ou porteur des idées véhiculées par ce projet.
Par le(s) artiste(s)