Le 3 Mars 2020 nous arrivons à Vescovato, en Corse.
Depuis Paris et Bagnolet, nous montons un sujet autour de la cabane et nommons ce projet : “La cabane à histoires”. Nous voulons parler de refuge et d’acte de résistance, nous questionner avec les enfants sur nos manières d’habiter le territoire et construire avec eux une cabane qui deviendrait un réceptacle pour les histoires du village. Mais face à nous, soudainement, deux mots se présentent : coronavirus, confinement. Il n’est plus alors question de cabane, de construction ou de chantier. Le 12 Mars l’école ferme. Ce matin-là nous retrouvons l’institutrice, dans la classe vide et cette atmosphère incertaine, elle nous raconte deux histoires sur le village. Nous écoutons alors nos premières “Histoires d’eau” et un nouveau titre se révèle pour le projet.
Nous laissons ici le premier texte que nous avions écrit avant notre arrivée en Corse, on y retrouve nos envies et volontés pour ce projet.
Nous laissons ici le premier texte que nous avions écrit avant notre arrivée en Corse, on y retrouve nos envies et volontés pour ce projet.
On a toujours considéré la cabane comme un refuge mais depuis quelques années, et d’autant plus ces derniers mois, sa construction s’érige en acte de résistance. Dès 2012, les cabanes fleurissent dans un bocage nantais proche de Notre-Dame-des-Landes, avec Nuit Debout les cabanes grondent à Paris place de la République, aujourd’hui, elles remplacent les sculptures qui habitent le centre de nos rond-points et choisissent le gilet jaune comme étendard. Les cabanes sont partout et jusque sur les têtes de gondoles des librairies. Marielle Macé fait paraître cette année Nos Cabanes, ouvrage qui continue de nous pousser à en construire, des cabanes. Et nous, on entend l’appel, et on choisit en effet d’en construire, des cabanes.
Nous sommes deux architectes et à travers notre projet La Cabane à histoires nous posons la question de l’habiter : Comment habiter notre monde ? Pour l’architecte, la cabane est un mythe, elle serait la naissance de sa discipline, l’abri premier. Pourtant le plus souvent elle est construite sans architecte, sans charpentier, sans plan ni dessin, elle nous renvoie à des temps primitifs ou nous plonge en pleine enfance. Pour l’enfant (pour l’adulte aussi) la cabane est comme un refuge, un moyen d’observer et d’appréhender un monde qu’il ne comprend pas ou ne connaît pas encore. La cabane se laisse construire dans les brèches, dans les interstices laissés libres et elle nous offre une échappée ; elle nous permet alors de repenser et réinventer nos manières d’habiter.
Avec La Cabane à histoires, nous amènerons les enfants à construire leur cabane comme un premier acte vers la construction de leur propre monde, le monde qu’ils veulent voir et dont ils rêvent.
La Cabane à histoires s’adaptera à l’environnement dans lequel nous nous établirons. Notre démarche est in situ et nous nous appuierons sur ce qui nous entourera, ici et maintenant. Tant dans les ressources matérielles que nous y trouverons que dans les imaginaires que nous découvrirons. Afin de trouver les lieux qui nous permettrons d’agir, nous partirons à la recherche de tiers paysages (cf. Gilles Clément), de lieux en marge des zones d’aménagement, de friches peut-être, de délaissés, de lieux du possible. Autour de nous, de quoi dispose-t-on ? À pied et carte à la main nous arpenterons le territoire pour identifier nos ressources (lieux d’implantation possibles, ressources matérielles, histoires à écouter). La cabane se construit avec ce qui se trouve autour de nous. Du bois, des branches, des feuillages, des pierres, mais aussi tous les matériaux que l’on peut récupérer, détourner, transformer. Nous définirons les potentiels de chaque matériaux et identifierons et établirons une cartographie des minerais et richesses (cf. exposition “Nouvelles richesses” dirigée par Frédéric Bonnet et Lucie Niney dans le Pavillon France à la 15ème Biennale d’architecture de Venise, 2016) qui nous entourent. Ce sera notre carte aux trésors et ces richesses seront des matériaux et des récits. Nous dialoguerons et questionnerons les personnes autour de nous, à la recherche d’histoires enfouies, de mythes oubliés, de légendes cachées ou d’anecdotes rigolotes. Notre cabane sera tissée de branches et d’histoires. Nous entamerons un dialogue avec les habitants et la municipalité nous accueillant pour trouver le ou les sites idéaux pour la cabane à histoires.
Nous chercherons à donner la voix aux enfants, à les considérer comme des sujets politiques à part entière et à les questionner sur notre rapport au monde. Si nombre d’adultes semblent avoir renoncé et abandonné l’optimisme, les enfants s’étonnent et se questionnent toujours. Les enfants osent dire ce que nous, adultes, taisons. On entend la jeune Greta Thunberg, activiste suédoise de 16 ans, dire : « vous êtes arrivés à cours d’excuses et nous sommes à cours de temps »; on remarque Ellyane Wanjiku, petite fille kenyane de huit ans, planter près de 500 arbres et mobiliser plus de 50 écoles autour d’elle; Melati et Isabel Gijsen, deux soeurs indonésiennes de 10 et 12 ans, militer et faire pression sur leur gouvernement ... Au delà de l’engouement médiatique que ces enfants suscitent et de la récupération marketing de certaines images, ils témoignent d’un élan : transformons notre monde. Nous ferons prendre conscience aux enfants qu’ils sont en capacité d’agir et leur demanderons : pourquoi seuls les adultes choisiraient l’avenir de notre monde ? Nous transmettrons aux enfants les outils et la sensibilité de l’architecte, de l’urbaniste, du géographe et du cartographe et nous leur donnerons des clés de compréhension sur la fabrique de notre monde actuel et de nos territoires. Nous les amèneront à développer leur regard critique et à identifier les dérives de notre environnement proche. Nous questionnerons ensemble notre rapport au monde. Et nous nous échapperons ensemble dans La Cabane à histoires.
La Cabane à histoires deviendra le théâtre où se jouera les mémoires racontées du territoire. Car, si nous sommes architectes, nous sommes aussi amoureuses de la mise en récit. L’année dernière nous avons créer ensemble Superbrut, un collectif d’expérimentation artistique et critique sur la fabrique de nos territoires. Avec Superbrut, nous nous amusons à mettre en récit les histoires que nous collectons dans les territoires que nous arpentons et habitons. Ces récits deviennent notre matière pour créer des spectacles de théâtre d’objet et marionnette. Nous avons élaboré une machine qui supporte nos histoires, on y déploie des décors qui défilent, montent et descendent. Lors de notre résidence avec Création en cours, nous explorerons plus loin cette démarche, et la cabane sera un nouvel espace scénique pour expérimenter de nouvelles formes de mise en récit. Portés par les histoires que nous collecterons, les enfants écriront leur propre récit du territoire et nous expérimenterons ensemble les formes que peut prendre le spectacle que nous performerons ensemble dans la cabane (dessin, projection, création sonore, théâtre d’ombres ...).
Pour La Cabane à histoires, nous choisissons trois départements sur le littoral méditerranéen. Trois départements que nous connaissons peu, comme visiteuses un été, de passage, en touristes un weekend. Cette fois nous nous y installerons et amènerons les enfants à prendre conscience de la fragilité du territoire (l’érosion des sols et des plages, les activités économiques du littoral, le tourisme, l’occupation saisonnière, les migrations, l'hospitalité ... ). En choisissant ces territoires nous partons à la rencontre de nouveaux horizons pour enrichir nos récits. Toutefois, si La Cabane à histoires doit être construite ailleurs, elle s'adaptera sans peine et avec joie.
Par le(s) artiste(s)