Mon projet est de travailler autour de l'auto-fiction en bande dessinée. Je voudrais créer la suite de mon roman graphique, Camel Joe, non comme un tome 2 de l'histoire, mais en imaginant une à une les histoires des personnages secondaires du tome 1, car chaque protagoniste est une facette de ma personnalité et un élément indispensable au récit de cette petite communauté que j'ai créée comme autant d'alter ego. En parallèle, je souhaiterais proposer aux enfants différents exercices de dessin comme l'auto-portrait, la création de personnages et le séquençage d'une narration dans le but créer des histoires illustrées ou en bande dessinée issues de leur vécu ou de leur imagination. La classe pourra expérimenter différentes techniques de dessins et d'image imprimée et j'accompagnerai chacun-e dans le choix du medium avec lequel il ou elle est le plus à l'aise, pour ensuite choisir une anecdote à transcrire ou imaginer, et la mettre en image à travers leur propre avatar dessiné.
Travailler avec les élèves autour de leurs créations sera un temps de recherche pour moi dans l'élaboration de mes propres bandes dessinées. En septembre 2018 paraîtra mon premier roman graphique, Camel Joe, aux éditions Rue de l'Echiquier, c'est le projet auquel je me suis consacrée cette dernière année. Je souhaiterais poursuivre le récit que j'ai initié en exploitant les possibilités qu'offrent les personnages secondaires aux personnalités multiples. Les héroïnes de Camel Joe sont Joe et Constance, mais il y a encore six personnages féminins dont j'aimerais faire un récit plus court, qui s'imbriquent les uns dans les autres et s'influencent.
Je suis très sensible à cette forme narrative, par exemple dans la bande dessinée Locas que Jaime Hernandez dessine depuis les années 1970, racontant les aventures d'une multitude de personnages presque exclusivement féminins qui gravitent autour du couple d'héroïnes, ainsi que dans le roman Cent Ans de Solitude de Gabriel García Márquez dont les protagonistes sont comme des dizaines de facettes de l'auteur dans sa cosmogonie personnelle.
Dans Camel Joe, le personnage principal, Constance, est une version clownesque de moi. Elle s'attire toujours des ennuis, se contredit beaucoup mais fait de son mieux pour être une bonne personne et vivre de son art. Elle est elle-même auteure de bande dessinée, et son héroïne, Camel Joe, une justicière aux super-pouvoirs redoutables qui combat le patriarcat, est une version bien plus forte et déterminée de Constance. Cette narration en mise en abîme est la trame de l'histoire, qui passe de la vie de Constance à la vie de Joe dans les pages de sa bande dessinée.
Mon intention à travers ce projet est de sensibiliser les enfants à la bande dessinée, qu'ils connaissent principalement à travers des œuvres classiques franco-belges ou des mangas, d'après mon expérience en ateliers TAP dans des écoles primaires. Je voudrais leur montrer les formes diverses que peut prendre cet art émergent, aux dessins parfois très abstraits ou picturaux, ainsi que les différents manières de raconter une histoire et de mettre en place des dialogues. Leur montrer un grand nombre de références me semble indispensable pour leur permettre de lâcher prise face aux exigences qu'ils ont vis-à-vis d'eux-mêmes dans le dessin et la représentation humaine, une part de notre travail sera donc de "décomplexer" notre trait pour laisser libre cours à l'imagination.
Par ailleurs, l'auto-fiction en bande dessinée peut avoir des vertus cathartiques et presque thérapeutiques, car elle permet de prendre de la distance. Se raconter à travers un personnage est un exercice d'expression intimidant mais très libérateur que j'aimerais leur soumettre.
La création de personnages forts et attachants, autant en imaginant leur personnalité et leurs aventures qu'en dessinant leurs traits, est une part importante de mon travail artistique qui permet au lecteur d'être en empathie et de s'identifier aux personnages. Dans ma pratique, le sous-texte est principalement politique et sociétal, puisque les thèmes abordés sont liés aux discriminations sexistes de notre société et aux agressions relatées dans l'actualité. Mettre mes réactions en image, avec dérision et à travers un personnage fictif est une manière de me délester de cette violence. Je voudrais donner l'opportunité aux enfants de faire ce travail de mise à distance avec le dessin, quel que soit le sujet qu'ils choisissent et les métaphores qu'ils emploieront.
La réalisation de bandes dessinées sera l'aboutissement du projet pour la classe comme pour moi, et un travail de dessin et d'expérimentation de techniques graphiques s'effectuera d'abord. Je voudrais travailler avec plusieurs media pour réaliser des images plus picturales de mes personnages, de simples portraits ou de très courtes scènes qui me permettront de mettre en place leur univers. Je voudrais réaliser ces images en peinture, gravure sur bois, sérigraphie et risographie afin de diversifier le traité de mes dessins, travailler cette fois-ci en couleurs et utiliser différents formats. Mon but est de produire une large collection d'images de ces mêmes personnages, pensée comme une annexe à la bande dessinée. Les imprimer en plusieurs exemplaires me permettra de les exposer et de les diffuser. Le travail de portraits -représentant l'un des personnages en action- me permettrait de produire rapidement par rapport au long processus de la bande dessinée, et de constituer une base d'images à plusieurs niveaux de lectures dans lesquelles puiser des idées pour les récits ultérieurs. Ce serait également l'occasion de travailler le rapport texte-image à grande échelle, ce que j'avais déjà fait lors de mon diplôme en isolant certains dessins et textes de mon fanzine pour en fait de grandes affiches sérigraphiées.
Ces recherches d'images me permettront de tester diverses techniques de dessin et d'image imprimée avant de les proposer à la classe.
Dans la phase de recherche avec les élèves, je voudrais débuter par des jeux dessinés autour du portrait et de l'autoportrait, par exemple en commençant par un dessin d'après modèle, puis refaire le même les yeux bandés, ou dessiner à l'envers, de mémoire... Ces exercices sont très utiles pour comprendre que la réussite d'un portrait n'est pas nécessairement dans la ressemblance physique exacte, mais plutôt dans l'expressivité du dessin. En animant un atelier avec des enfants dans un centre d'hébergement du SAMU social, j'ai pu constater que ce type d'expérience retire une partie de la pression que se mettent les enfants lorsqu'ils dessinent. Au début, chacun était extrêmement appliqué, puis s'est pris au jeu et a dessiné de manière très spontanée. Je souhaite que l'expérience de la classe soit enrichissante en manipulant des matériaux, c'est pourquoi je voudrais que nous dessinions avec de l'encre de Chine en bâton, en monotype, en découpage et collage, en photocopie et si possible en gravure et en sérigraphie. Chaque étape donnera lieu à la création d'un petit objet éditorial -livre relié, fanzine, livre-poster- que nous confectionnerons ensemble et que je me chargerai d'imprimer.
Forts de ces expérimentations, nous pourrons engager la seconde phase du projet qui consistera à l'écriture de leur histoire, dont nous discuterons et qui me permettront d'en apprendre plus sur eux, leur ville, leur région, leur rapport à l'école, à leurs camarades... Et je les aiderai individuellement à sélectionner une histoire issue de leur vie et à l'écrire, la transformer, la romancer... Cette partie sera l'occasion d'expérimenter le story telling en petit groupe, à deux ou face à la classe. Puis débutera la recherche de leur avatar, des protagonistes, le séquençage en cases, le dessin du mouvement, du décor... Et enfin la réalisation finale de leurs planches de bande dessinée.
Je souhaiterais faire une édition de toutes leurs productions dont chacun aura un exemplaire, trouver une manière de l'éditer et un lieu pour exposer les planches originales.
Par le(s) artiste(s)