Joué pour la première fois en 1930, le monologue de La Voix humaine de Jean Cocteau nous confie le récit d’un appel téléphonique à travers la voix d’une femme, en vue de l’impossibilité de la rencontre physique. A partir de l’enregistrement intégral du texte, une nouvelle approche scénique et sonore est proposée, visant à explorer le rôle de la voix dans la construction des relations humaines. La matière sonore du monologue sera transformée et mise en scène afin de rendre palpables d’autres récits à l’intérieur d’une seule voix.
La résidence auprès des enfants se fera à partir de différentes réflexions, exercices et expérimentations autour du partage des récits par la voix. Cela permettra d’actualiser la réflexion sur la place de la voix et des outils de communication dans La Voix humaine et de se pencher sur la construction des relations humaines d’aujourd’hui.
Le Projet La Voix Humaine naît tout d’abord de mon intérêt par la voix: son utilisation, sa transmission, ses différentes formes. Petit-fils de Martiniquaise, afro-descendant né au Brésil, mon parcours de vie a été marqué par le croisement d’histoires familiales entre la France et le Brésil. Une grande partie de ces histoires m’ont été transmises oralement, soit par les récits de ma grand-mère paternelle, soit par ses chansons, ses prières en créole/français. La musique et le théâtre me sont présentés également par cette transmission orale, cette fois-ci à travers mon père, comédien et musicien professionnel qui m’emmenait avec ma sœur à tous ses spectacles et répétitions. Entre l'Hexagone, la Martinique et le Brésil, entre la musique et le théâtre, la voix a toujours été la constante de mon équation.
Dans ce sens, le projet La Voix humaine est un projet qui me permet de travailler la voix dans ses différentes dimensions : poétique, communicationnelle, théâtrale et musicale – sonore. Joué pour la première fois en 1930, La Voix humaine de Jean Cocteau est le récit d’un lien humain qui se fait dans la voix à travers un outil technologique de communication, en vue de l’impossibilité de la rencontre physique. Utilisé plus fréquemment en France à partir de la fin du XIX siècle, le téléphone a permis un changement drastique des relations humaines à l’époque. En particulier en ce qui concerne la communication et notre rapport à la voix, au temps et à l’espace, une fois qu’il transforme le son et réduit les distances communicationnelles. Dans ce texte, Cocteau aborde ce moyen de communication à la fois comme une possibilité de lien et à la fois comme une impossibilité d’une vraie relation avec toutes les obstructions et aspects techniques liées à son utilisation. Ce monologue propose ainsi une expérience autour de la construction des relations à partir de la voix et du moyen de communication du téléphone.
Avec la comédienne Astrid Bayiha, nous aimerions entamer une mise en scène basée sur l’exploration sonore du texte de La Voix humaine. L’enregistrement intégral du texte est le point de départ de cette création et un dispositif sonore sera créé en collaboration avec le musicien Cyril Hernandez. L’idée centrale est de travailler le monologue en tant que matière sonore: le faire venir en arrière, le faire avancer, créer des distorsions et transformations du son.
Comment se construisent nos rapports à la présence et à l’absence à travers les outils technologiques de communication? Nos rapports à la voix? Au temps? Et au silence? Comment les sentiments et les sensations peuvent être transmis à distance par le son de la voix?
Pour répondre à ces questions, je procéderai à la création de trois univers distincts sur scène, dans lesquels le personnage central se déploiera. L’enregistrement constitue le premier univers et sera exploré à partir d’un travail précis du texte en tant que matière sonore. Le deuxième univers est celui de l’espace de la chambre, formé par ses objets, qui racontent d’autres histoires et qui seront transformés par l’actrice sur scène: l’abat-jour devient un chien, les gants deviennent une blessure, la boucle devient un homme. Le troisième univers est celui du corps de la femme, son appropriation de ce corps et de ses gestes. Ces trois univers distincts seront mis en contact simultanément sur scène, en révélant des instants fragiles et puissants de décalage et de retrouvailles entre ces trois univers.
La création de ce dispositif scénique est tout d’abord une tentative de résoudre un problème d’ordre théâtral: celui de faire apparaître les récits existants à l’intérieur d’une seule voix. Pour cela, l’actrice habitera exhaustivement ces trois univers et son jeu sera ainsi connecté au son du texte et à l’espace, sans toutefois en être dépendant. Cela construira sur scène une unité à partir de la distinction précise des éléments à l'intérieur d’une relation complexe.
Pendant la résidence à l’école, les enfants seront amenés à réfléchir à la place de la voix, ses différentes formes et son impact sur notre vie à travers les appels téléphoniques, les visioconférences, l’envoi des messages audio et d’autres formes d’échange avec des outils technologiques de communication, où la voix est l’élément central.
Nous créerons ainsi un dispositif pour enregistrer la voix et les récits des enfants, pendant des conversations téléphoniques qu’ils établiront avec des personnes qui leur sont chères. Une fois les récits et les voix enregistrés, nous écouterons une seule voix de la conversation (celle de l’enfant). Nous commencerons alors, un travail d’exploration de cette matière sonore, en modifiant la vitesse, le volume, la fréquence et l’ordre des mots avec des outils sonores simples. Dans un premier moment, cela aboutira à des séquences sonores et à des compositions musicales à partir de la distorsion des enregistrements vocaux. Dans un deuxième moment nous travaillerons la mise en scène de ces séquences sonores avec les enfants.
Cette démarche nous introduira au rapport qu’ont les enfants de la nouvelle génération à la voix et aux outils technologiques de communication. Cela nous permettra d’actualiser le récit de La Voix humaine du début du XXème siècle, écrit environ 30 ans après l’arrivée du téléphone en France, et le confronter aux récits des enfants du début du XXIème siècle, 30 ans après l’arrivée de l’internet dans le monde.
Dans la mise en scène du récit de La Voix humaine, destinée à poursuivre son chemin après la résidence dans l'école, il s'agira pour nous – comédienne, musicien, metteur en scène – de nous imprégner de la vision des enfants, de leurs récits et de leurs propositions, afin de les transmettre sur scène.
Par le(s) artiste(s)