Le musée imaginaire est un projet de création collective qui mélange narration et photographie à partir d’objets souvenir collectés dans les boutiques de grands musées d’art européens. Ces reproductions grossières représentent des artefacts archéologiques célèbres d’Égypte, de Grèce ou du Moyen-Orient, parfois spoliés, que l’on trouve dans nos livres d’histoire de l’art. Le projet s’organise en diptyque, par enrichissement mutuel. Il s’agit d’une part de poursuivre des expérimentations photographiques et plastiques autour de ces objets, au sein d’installations qui perturbent la notion de multiple et de reproduction. D’autre part, l’artiste invitera les élèves à se saisir de ces reproductions symboliques, de se les approprier et de leur fabriquer de nouvelles histoires. Ces récits collectifs, textes et mises en scène photographiées, feront l’objet d’une vidéo et d’une édition. Ils aborderont ainsi la question de l’écriture de l’histoire, du patrimoine et de ses appropriations.
Je développe depuis plusieurs années un travail de collecte et de photographie autour d’objets souvenir. Traces de nos passages sur un lieu touristique, ces objets témoignent d’une manière de s’approprier l’Histoire, d’en posséder une partie peut-être, de la confondre avec un « j’y-suis-allé » relevant d’une histoire personnelle. Produits dérivés de l’histoire officielle, l’objet souvenir est issu de reproductions multiples, liées à des imaginaires qui se superposent. Les cartes postales, les magnets, les porte-clés ou les boules à neige permettent des rentrées financières tout en créant de nouveaux types de représentations dans un contexte de patrimonialisation générale du paysage. « J’appelle Musée imaginaire la totalité de ce que les gens peuvent connaître aujourd’hui même en n’étant pas dans un musée, c’est-à-dire ce qu’ils connaissent par les reproductions, (…) les bibliothèques », déclarait Malraux. Le projet que je souhaite développer avec les Ateliers Médicis et un groupe d’élèves tentera d’interroger la contemporanéité d’un musée imaginaire.
Depuis peu, je suis particulièrement attentive aux reproductions d’oeuvres d’art dans les boutiques de musées. Certaines mettent en vente des reproductions d’artefacts parfois spoliées, notamment des pièces d’Égypte, de Grèce, ou du Moyen-Orient. Ces objets paraissent fidèles aux originaux, mais ils ont en réalité une autre utilité : presse-papier, serre-livres, gomme, bloc notes ou magnet. Photographiés sous un certain angle, les indices qui révèleraient cette autre fonction disparaissent (voir diaporama). J’ai réuni à ce jour une trentaine de ces objets. Ils m’intéressent car ils interrogent « l’oeuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique » made in China et la consommation liée au tourisme dans les grands musées. Si la copie, grâce aux technologies actuelles, pourrait permettre selon certains de rendre des oeuvres accessibles à plusieurs endroits, les reproductions touristiques portent déjà en eux, il me semble, cette fonction. Je souhaite m’en servir de supports pour interroger les inégalités qui conditionnent l’accès aux oeuvres et les possibilités d’écrire de nouvelles Histoires.
L’idée de ce projet s’inspire d’une affaire archéologique qui a fait couler beaucoup d’encre. L’authenticité des vestiges trouvés sur le lieu-dit du Glozel (Allier) en 1924, d’abord attribués à une période préhistorique, a vite été contestée par la communauté scientifique : des tablettes de céramique portant une écriture inconnue proche de l’alphabet phénicien mais prétendument antérieur à cette civilisation sont au centre de la discorde. Glozéliens et anti-glozéliens s’affrontent jusque dans les années 1990 lorsque le ministère de la Culture demande de nouvelles analyses et datations. Ce rapport conclut que le site contenant des artefacts datant de l’âge du fer a été surchargé de contrefaçons. Cet alphabet inédit aurait remis en question l’invention de l’écriture en Mésopotamie. Ces faux sont donc le matériau archéologique d’une période historique imaginaire, les restes d’une civilisation fantasmée mais aussi d’un phénomène identitaire réel.
Les travaux récents sur les restitutions patrimoniales au continent africain ont éclairé de nouveaux débats sur les problématiques de l’identité, de l’inaliénabilité des objets de patrimoine et l’accès à ces objets. À qui appartient la beauté ? Et à qui appartiennent ces Histoires ? L’historienne Bénédicte Savoy, pour qualifier ces déplacements et ces appropriations successives, a forgé le concept de translocation : en génétique, il désigne un déplacement de chromosomes dont résulte une mutation par échange réciproque. Mon projet tente de mettre en oeuvre un processus de création par enrichissement mutuel : conçu en diptyque, il mettra en regard ma recherche plastique personnelle et une création collective réalisée avec les élèves. L’ensemble formera un musée imaginaire revu qui prend pour point de départ mes objets souvenir.
Malraux préférait, disait-il, l’usage de la photographie car « le pillage et le tourisme ont des limites ». En m’inspirant de sa méthode et de celle d’Aby Warburg dans son Atlas Mnémosyne, je cherche à developper un travail d’installation mélangeant photographie et sculpture. Une première étape de recherche en photographie s’inspirera de techniques de prises de vue utilisées pour l’archivage des musées. J’aimerais jouer sur l’étrange étrangeté qui apparaît lorsque la photographie cache leur échelle et leur fonction mais révèle les défauts de fabrication. L’accompagnement des Ateliers Médicis me permettra ensuite d’expérimenter des manipulations à partir de mes images et de matières liées à la conservation des oeuvres (cire, paraffine, résine, plâtre), matériaux que j’aimerais introduire dans ma pratique. Ces recherches tenteront de mettre en place des formes visuelles et des mises en espace qui interrogent la notion de multiple et de pièce unique. J’imagine cet ensemble de reproductions de faux et leurs nouvelles légendes en posant la question de ce que les archéologues du futur trouveront de notre civilisation.
Cette recherche plastique se fera dans le même temps qu’une création collective avec la classe de CM1 ou CM2. Je propose aux élèves de s’emparer de mes objets souvenir. Copies ou non, faux plus réels que les originaux puisque préhensibles et physiquement manipulables, ils seront remis en circulation par les élèves qui seront invités à les manipuler et les mettre en scène. À partir de quelques repères sur l’histoire des oeuvres que je présenterai, nous tenterons ensemble de reconstituer leur histoire de manière plus ou moins fictive en inventant les parties manquantes : en nous inspirant du roman archéologique plutôt que du manuel scolaire, nous pourrons leur inventer une autre civilisation. Ce travail de prises de vue et d’écriture fera l’objet d’un film et d’une édition que chaque élève pourra garder. Ils montreront les élèves reprenant la main sur des pièces archéologiques célèbres. Les histoires individuelles y croiseront la grande Histoire de l’art et ses angles morts. Par le montage et la structuration des récits collectifs que nous produiront, ils tenteront d’éclairer des problématiques actuelles sur la migration et l’appropriation culturelle.
Je souhaite m’installer à temps complet sur le territoire d’implantation du projet. Je fais le choix de trois territoires géographiquement éloignés des grandes offres culturelles mais qui ont aussi la particularité d’être des hauts lieux du tourisme de mémoire en France. Ce choix, s’il peut se réaliser, pourrait permettre d’interroger des parallèles, des différences et des points commun entre deux types de patrimoine. L’histoire y prend une place particulière, se reflète dans le paysage et permettrait à mon projet de rencontrer un autre type d’écho.
Par le(s) artiste(s)