Deuxième session de deux semaines à Ham, du 8 au 19 février. Au programme : photographies et inventions.
Je retourne à Ham par un temps polaire pour une session de deux semaines de travail avec les élèves. Je peux désormais installer mon matériel dans l’ancien logement de fonction que l’on me prête le temps du projet comme atelier. Plusieurs pièces me permettent d’avoir une salle photo au noir, une salle où accrocher mes documents de recherche et un coin lecture. Nous organisons avec Florence, l’enseignante, mes interventions l’après-midi. Je profite de mon atelier pour avancer sur mes recherches le matin et les mercredis.
Après une première découverte des objets de ma petite collection par la création des cartes postales, il est temps d’entrer dans le vif du sujet : nous allons créer un livre, et nous avons beaucoup de travail. Pour familiariser les élèves au dispositif de prise de vue que nous allons utiliser pour mettre en scène les objets, j’organise avec Florence une journée dédiée à la photographie. Par groupe de 5-6, je leur propose de faire le portrait de deux objets. Covid oblige, les objets ne sont pas mélangés entre les groupes. Après une petite présentation sur les choix que nous devons faire pour prendre une photo (portrait/paysage, cadrage, éclairage, profondeur de champ…) nous photographions nos objets sur fond vert dans l’idée de les intégrer, peut-être, à des décors.
Nous avons vingt objets en tout. En imprimant les vingt photographies que nous avons faites, je repense à ce que j’avais imaginé avant d’arriver : je voyais les tirages manipulés par les enfants, assemblés au sol, rassemblés, les objets manipulés allant de mains en mains… Mais le Covid me force à penser chaque geste lié au toucher. Je suis contrainte, pour travailler sur les images avec eux, à les accrocher au tableau.
Pour dégrossir les possibilités de mises en scène de mes objets, je leur propose de réfléchir à un classement. Comme lorsque nous avions planché sur les assemblages de cartes postales, je leur demande de bien regarder les portraits qu’ils ont réalisé et de classer chaque objet soit dans une catégorie « décor » soit dans une catégorie « personnage ». Certains posent problème : les animaux peuvent-ils être des personnages ? Les objets « plats » font-ils forcément partie d’un décor ? Ils ne sont pas tous d’accord, nous exposons des arguments et votons pour trancher. Par chance, nous tombons à dix décors et dix personnages, ce qui nous permet d’imaginer déjà quelques associations possibles.
À partir de nos portraits des objets sur fond vert, j’ai créé de petites fiches à remplir pour camper nos décors et personnages. La deuxième semaine est dédiée aux choix majeurs qui serviront de base à l’écriture de notre histoire. Tous les élèves n’ont pas la même faculté d’imagination, certains sont angoissés par l’idée d’écrire. Florence m’aide à imaginer des supports pour varier les types d’activités, leur donner des idées, et les garder concentrés. Je commence la semaine par l’éventail de questions auxquelles nous devons répondre pour écrire : Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? D’une situation A dans un lieu donné, le voyage nous amènera à plusieurs péripéties pour arriver dans un lieu B pour le dénouement. Je leur fais réaliser un petit carnet par pliage, avec la mention « Le musée imaginaire de… » en couverture pour qu’ils y notent et dessinent leurs idées tout au long du projet.
Nous commençons par les décors : lundi après-midi, nous disposons de tablettes pour faire des recherches d’images. Chaque groupe a deux éléments de décor à sa charge. Il doit indiquer le lieu où il se trouve, comment il est placé dans l’espace et éventuellement lui trouver un nom. L’après-midi suivante, nous tentons une mise en commun en classe entière, à l’oral, en essayant de montrer les lieux existants dont se sont inspirés les élèves sur Google Earth. L’après-midi déborde, notre imagination aussi face aux idées des enfants. Je recrée en classe un dispositif que j’utilise souvent pour mes recherches : nous accrochons une carte de l’Europe sur laquelle nous allons épingler nos images. Des post-it nous permettent d’indiquer des noms, de détailler des caractéristiques. Ce tableau d’enquêteur restera dans la classe comme un repère.
Le jeudi, nous dédions toute la journée au projet : je prends des groupes de 5-6 pour faire des photos tandis que Florence et Anne-Cécile s’occupent des autres groupes qui planchent sur les caractères des personnages en remplissant les fiches d’identité que j’ai préparé avec leur portrait sur fond vert. Quant à moi, je leur demande de mettre en scène, en format paysage, un élément de décor et un personnage sur des fonds qu’ils choisissent parmi les papiers que je leur ramène. Tenter des mises en rapport, des jeux de regard, des dispositions, commence à éveiller des histoires possibles. Ici, Akhénation observe en cachette la Vénus de Milo, là une créature hybride poursuit la Victoire de Samothrace… Nous réalisons une série superbe de dix images qui nous serviront aussi dans le voyage de nos personnages. Pendant ce temps, dans la classe, on leur donne des prénoms, un âge, une couleur préférée, une ville d’origine, une adresse actuelle, un défaut et une qualité. Ils commencent à prendre vie.
Pour mon dernier jour de cette intense session, je prépare une petite surprise aux élèves : c’est le jour des vacances, ils sont fatigués et énervés, je vais les prendre en photo avec leur objet préféré. Un portrait de chacun qui me servira à réaliser le trombinoscope que j’intégrerai au livre. Mais avant, Florence improvise une interrogation surprise sur les fiches personnages : en une heure, à l’aide des photographies prises la veille, des itinéraires et des histoires se dessinent. Plusieurs, même. Néfertiti a été vue à Berlin, qui Thédor l’avocat va-t-il défendre à Ankara, est-ce pour un vol ou un meurtre ? Cléopâtre part en tournée mondiale depuis Moscou, qui l’accompagne à Paris ? Amir, le lamassu chauffeur de bus, a été vu à Louxor, qui a-t-il pu croiser ? Selma, la Vénus de Milo qui est aussi coach en natation, s’apprête à rejoindre Istanbul à la nage depuis Marseille sur les traces de Maria, l’étudiante en arts qui voudrait aller visiter les beaux monuments de Rome et de Lisbonne… À suivre !