Les Enfants Sauvages est un projet de film expérimental, réalisé avec les outils du théâtre et de l’art vidéo pour créer un objet hybride et empirique. Il s’agit de la formation d’un récit initiatique, dont le personnage central est une communauté d’enfants. C’est une recherche qui questionne le rapport de l’enfant à l’altérité, dans un monde où l’adulte est absent et où l’enfant devient responsable. Qu’advient-il si l’enfant est exilé, déplacé, soudainement étranger à son milieu d’origine, qu’il soit social ou géographique ? Comment les enfants s’organisent-ils pour faire communauté ? Le point de départ sera l’association de deux oeuvres : Les Enfants d’Edward Bond et Sa Majesté des Mouches de Peter Brook.
Nous sommes un duo aux pratiques distinctes et complémentaires : à l’origine de ce projet un comédien formé au théâtre qui s’empare de sa pratique pour être à la fois interprète et créateur.
Julien Breda, diplômé de l’ERACM depuis 2016, est comédien et travaille avec des metteurs en scène sur des textes uniquement contemporains. Il initie une recherche personnelle sur le jeu comme moyen d’interroger la présence à travers l’enseignement pédagogique du théâtre.
Mathilde Supe, diplômée de l’ENSAPC depuis 2014, est une plasticienne vidéaste dont le travail explore les rapports qu’entretiennent les individus avec la société à travers des notions de perception, de représentation, de narration et d’imaginaire collectif.
Nous nous rencontrons dans le regard que nous portons sur le monde et ses formes, tous deux nourris de sociologie et par un imaginaire cinématographique que nous envisageons comme un médium universel.
Le double emploi de la notion d’interprétation est au coeur de notre démarche: l’interprétation du monde et de ses signes, comme un spectateur passif recevant des images. Identifier des messages (genres, stéréotypes, clichés) en comprendre les codes (composition, cadrage, musique) et manier ces outils d’interprétation. Mais aussi l’interprétation du comédien, qui produit ces images, qui est dans l’action. Il s’agit de rendre sensible un matériau poétique que l’acteur peut s’approprier par le corps et la parole. Jouer une figure, incarner un personnage, transmettre des émotions, habiter l’espace.
Les Enfants Sauvages: un projet de film expérimental et empirique.
« L’Homme est la seule espèce qui se dramatise, le seul animal qui se raconte des histoires » Edward Bond.
L’enfance (et par extension l’adolescence) est au coeur de nombreuses fables dont l’humanité n’a cessé de se nourrir, relayées par les médias de masse et succès grands publics: de la série Stranger Things aux films cultes comme Hook, The Goonies ou la saga Harry Potter, les groupes d’enfants permettent aux adultes de réactiver des questionnements autour de l’injustice, de l’exil, de la violence et de la politique. Ce sont ces thématiques que nous souhaitons aborder avec les élèves pour qu’ils puissent porter eux-mêmes ces récits et les confronter avec leurs subjectivités. Comment leurs imaginaires dialoguent avec ces productions culturelles?
Nous proposons de mettre les enfants en jeu et en image, en travaillant autour de deux oeuvres - une pièce de théâtre et un film: Les Enfants d’Edward Bond, et Sa Majesté des Mouches de Peter Brook (d’après le roman de William Golding), qui tous deux mettent en scène des enfants en exil, confrontés à une violence qu’ils fuient ou qu’ils retrouvent, mais qui toujours les pousse à grandir et à construire leur altérité.
Dans Les Enfants, une mère au comportement insensé conduit son fils à commettre un crime et l’abandonne à l’errance. Ses amis et lui rencontrent le malheur, la destruction, mais aussi une nouvelle forme de compassion. Quel rôle « pédagogique » le théâtre peut-il jouer dans un monde à la dérive, quel rôle l’imagination peut-elle reprendre dans un processus éducatif qui permettrait de nous libérer des maux de la violence et de l’injustice? Comment pouvons-nous apprendre à être responsables, de nous-mêmes et de nos actes?
Dans Sa Majesté des Mouches, des jeunes garçons de 6 à 12 ans se trouvent livrés à eux-mêmes sur une île montagneuse et sauvage, à la suite du naufrage d’un avion. Obligés de s’organiser pour survivre, leur groupe tente de reproduire une société fonctionnelle, qui est rattrapée par un retour à l’instinct primaire. Ce roman remarquable a un sens allégorique qu'il n'est pas difficile de comprendre : c'est l'aventure des sociétés humaines qui est tragiquement mise en scène par les enfants. Mais l'œuvre vaut avant tout par la description de leur comportement et par l'atmosphère de joie, de mystère et d'effroi qui la baigne.
En tirant l’essence de ces deux œuvres, nous utiliserons leur sujet central, des communautés d’enfants en exil, comme point de départ pour fabriquer la suite d’un récit. Il s’agira d’imaginer les péripéties, les épreuves et les obstacles de cette communauté. Pour aborder la construction du récit, les élèves utiliseront surtout l’image comme support de pensée afin de réfléchir l’œuvre sous une dimension visuelle propre au cinéma et à l’art vidéo. Cette pensée plastique sera nourrie par un corpus d’œuvres que nous aurons choisies. Cela permettra de plonger dans le travail par une immersion onirique, avec visionnage d’extraits de films, lecture de textes, mais aussi découverte de formes moins populaires comme l’art vidéo et l’installation.
Dans un deuxième temps nous déconstruirons ces médias et leurs effets, et ensemble nous pourrons sélectionner, assembler, compléter et inventer notre propre récit en images. Ce travail par images, mentales et visuelles, ordonne et formalise l’objet que nous désirons réaliser: un film poétique, où la magie s’invite dans les regards, les paysages, et l’atmosphère, à la façon des Métamorphoses de Christophe Honoré, où les mythes grecs se réalisent dans un cours d’eau, dans le montage d’une disparition, ou par l’apparition d’un roseau dans un plan. Ou encore le film Jaguar de Jean Rouch, qui donne la parole à ses interprètes par un double-jeu de doublage et de commentaires sonores, leur permettant une dérive narrative qui étoffe le temps de l’action. Sa Majesté des Mouches est d’ailleurs un film réalisé avec peu de choses: le groupe d’enfants dans une végétation sauvage, leurs visages et le vent. Une économie de moyen prenant appui sur l’incarnation physique des corps à l’image, et laissant place à l’imagination.
En traversant des étapes successives de travail, les enfants seront amenés à intégrer les enjeux du projet pour y participer de manière consciente:
- Étudier un répertoire de textes et d’images, fixes et en mouvement.
- Expérimenter le jeu théâtral afin de préparer un tournage: se mettre en corps par des exercices vocaux et physiques au plateau.
- Découvrir des techniques cinématographiques: essais caméra, prise de son, perception de l’espace et du corps à l’image.
- Participer à l’élaboration d’un récit et de sa représentation, avec les compétences acquises.
Partir d’oeuvres existantes tout en laissant de la place à ce que produiront les rencontres avec les enfants est pour nous un moyen de sortir du programme classique de production d’un film, consistant seulement en une suite de répétitions en vue d’un résultat défini. La découverte de nouveaux outils visera à placer les enfants en situation d’autonomie, pour qu’ils s’emparent de l’histoire que nous allons raconter. Métaphoriquement nous souhaitons établir un parallèle entre l’aventure de ces enfants livrés à eux-mêmes et le déroulement de notre recherche.
Par le(s) artiste(s)