Comment un petit espace peut contenir des dimensions qui nous dépassent ? Pour un spectacle de marionnettes mis en scène par Anaïs Chapuis, je suis invitée à créer des livres à activer sur scène. Le texte du spectacle gravite autour des questions d'échelles, de chemin initiatique et de la dimension métaphorique des paysages traversés. Ce projet se situe à la lisière du paysage et du livre. L'immense et le minuscule. Ce qui se joue, c'est l'espace. Comment est-il ressenti, investi, arpenté, transposé, raconté. Avec les enfants, nous ferons une expédition sensitive à la rencontre du territoire (la montagne) puis nous transposerons sous forme de livres des récits (sans texte) capables de rendre compte de l'expérience sensible que chacun de nous vivra. Nous penserons des objets qui se transformeront, des livres à parcourir, à éprouver, à ressentir, des objets à déployer, à étendre, en écho avec les lieux qui nous auront touchés. Ces livres seront manipulés lors d'une exposition finale.
Anaïs Chapuis (marionnettiste) m'a invitée à penser la scénographie d'un spectacle destiné au jeune public. Le spectacle s'inspirera du texte « Everest » de Stéphane Jaubertie. Les décors seront des livres (pop up?) à activer sur scène. "Everest" est un spectacle pour l’enfant à l’intérieur de l’adulte et un spectacle pour l’adulte à l’intérieur de l’enfant. De l’infiniment grand – la littérature, la montagne – à l’infiniment petit – un père haut comme une cerise–, Stéphane Jaubertie décline toute la palette des sentiments : alors qu’un père se fait mordre par un serpent et rapetisse physiquement et moralement, alors qu’une mère déborde et remplie sa baignoire de larmes; le fils, nous raconte comment les échelles s’inversent. Le père, tout petit, saute de livre en livre, de classique en classique, à la recherche des sommets de la littérature. C'est son chemin initiatique à lui. Les paysages qu'il traverse au fil de ses lectures prennent des dimensions gigantesques. On ne sait plus bien quelle est la part de petit dans le grand ou l’inverse. Ce texte fait varier les échelles et les points de vue. Les livres (en tant qu'objet et que texte) y sont des univers en soi. Il soulève également la question du paysage comme chemin initiatique car c'est aussi dans notre géographie intérieure que cet homme nous invite à voyager. J'extrais finalement deux thématiques : le cheminement dans le paysage et le livre-espace. Comment transposer l'un à l'autre ? Le livre est une œuvre mobile, un petit objet qui rend saisissable ce qui nous dépasse. Il stimule et génère des espaces, des cadres temporels, il est une surface de projection, un lieu d'expression, un objet qui s'ouvre et qui se ferme et qui ne vit qu'à travers celui qui le manipule. Il s'agira de chercher ce que peut être un livre à l'échelle de la scène, comment peut-il densifier le récit, être objet et espace à la fois, se métamorphoser, s'animer et constituer un support narratif riche pour la comédienne. Utiliser les livres comme des objets porteurs d'univers. Pour ce projet, j'aimerais que les livres soient des ballades. J'aimerais qu'on s'y promène comme on chemine dans la montagne, qu'il y ait du relief, des surprises, de l'étonnement, des histoires imbriquées. Je profiterai de cette résidence pour raconter autrement, chercher d'autres modes de récits, interactifs et sensibles. Je m'intéresse beaucoup aux pré-livres de Munari créés pour les enfants qui ne savent pas encore lire, donc sans texte, mais qui conservent tous les autres constituants de l'objet livre : la manipulation, le séquençage, le toucher, la texture, le découpage du récit, le format... L'idée d'intégrer des enfants à ces recherches me plait, tout d'abord parce que c'est à eux que cela s'adresse et parce qu'il m'intéresse de leur faire apprécier le livre sous une autre facette, plus interactive. J'ai depuis longtemps envie d'aborder avec eux les thématiques du récit, de la perception du paysage et de l'espace. Mon mode de transmission s'appuiera sur une balade/une randonnée/une expédition. Ce sera le socle : une expérience vécue en commun. Cette expérience, sensitive, consistera à se déplacer à travers les différentes ambiances d'un espace en se laissant guider par nos impressions. Je leur proposerai d'observer la poésie du paysage, de l'éprouver, de ressentir le relief, de prendre le temps de laisser leur imagination vagabonder. Le cheminement physique est propice à l'activation du cheminement de la pensée. La randonnée sera l'occasion de modifier notre rapport au temps, de ralentir le rythme, de zoomer sur les choses, rentrer dans l'infra, le minuscule, le presque invisible et à la fois de ressentir la force immense du paysage, le très grand, le gigantesque, l'infini. Chaque enfant aura un carnet de voyage, des crayons, une boîte de récolte afin de transcrire ses sensations. (Le dessin du chemin est une façon de prendre connaissance du terrain et d'en dégager les lignes de forces, les potentialités) « Être en forêt, c’est se faire feuille, branche, fougère, et surtout se faire silence. » Everest Le paysage nous propose mille et une histoires, il suffit de les écouter. Ensuite, ce qui m'intéresse, c'est la manière dont nous transposerons le vécu en narration, dont nous transcrirons et restituerons les rencontres saugrenues avec le paysage, les moments marquants. Comment changerons-nous d'échelle, comment les sensations ressenties pourront-elles devenir couleurs et formes ? Pour cela nous essayerons de raconter sans les mots, et ainsi de chercher d'autres manières de dire. Le livre permettra à chaque enfant de créer et montrer sa fenêtre sur le monde. Chacune de ces fenêtres sera le reflet d'un cheminement, d'une sensibilité, d'un imaginaire. Le but sera de trouver la forme juste, d'adapter le contenant au contenu, de démultiplier les techniques (à partir du matériau papier) pour s'adapter au récit de chacun : livres en accordéon, petits et grands formats, papiers transparents, pages qui se plient se déplient, qui grandissent, formes qui surgissent, pop up, papiers déchirés, théâtres d'ombres, apparitions, découpages... Jouer avec la matière, découvrir la poésie des matériaux (dans le champs du pop up, pour dire les plis on utilise les termes techniques « mont » et « vallée »). Je mènerai en parallèle mes recherches sur ces mêmes thématiques pour la scénographie du spectacle dans un petit atelier que je monterai dans une salle de l'école (ainsi que dans mon atelier à Strasbourg). Les enfants pourront y venir à tout moment afin de suivre l'évolution et de sentir intégrés à cette recherche artistique. Je travaille de manière empirique, mes recherches font autant partie de ma pratique que le résultat qui en découle. En affichant ces recherches, ce fourmillement d'expériences, j'aimerais créer pour les enfants un environnement créatif et généreux, qui leur donne envie de proposer quelque chose à leur tour. Pour finir, je proposerai à Anaïs d'intervenir pour présenter sa pratique de marionnettiste et éventuellement accompagner l'exposition finale où nous tenteront de mettre en scène les objets réalisés, de les activer, de les manipuler devant un public que nous aurons invité.
Vosges
Par le(s) artiste(s)