Malinche, Malintzin, Doña Marina… Beaucoup de noms pour nommer une même figure historique : l'amante indienne du conquistador espagnol Hernán Cortés, sa traductrice, son guide, sa main droite et stratège dans la conquête des terres mexicaines. Elle est devenue aujourd'hui un symbole pour les mexicains: la mère du métissage, mais aussi celle qui a trahi son peuple, fascinée par un étranger.
J'aimerais m'emparer de ce personnage pour interroger cette activité qui nous est très familière aujourd'hui : traduire, non seulement d'une langue à l'autre, mais aussi d'une culture à l'autre.
Née dans un petit village en Argentine, j'ai ensuite déménagé en Espagne, plus tard au Portugal et en Allemagne et, enfin, en France. J'ai passé ma vie à naviguer entre les cultures et les langues. J'ai passé ma vie à traduire pour moi-même ou pour les autres.
À travers cette figure historique qui est la Malinche, j'aimerais confronter les étudiants à l'acte de la traduction, qu'ils connaissent probablement aussi bien que moi, parce que traduire veut dire aussi chercher des équivalents, des références communes entre une culture et une autre afin de mieux comprendre, mieux communiquer avec l'Autre. Je parle, certes, des très nombreux enfants qui sont nés dans des familles qui viennent d'ailleurs, ou qui parlent une autre langue, et qui sont obligés de traduire quotidiennement leurs mots, idées, comportements, pour les rendre intelligibles aux deux cultures entre lesquelles se partage leur vie. Mais je parle aussi du reste des enfants qui, n'ayant pas connu le vécu de la migration au sein de leur famille, sont menés à côtoyer quotidiennement l'Autre ou les Autres : des cultures voisines ou lointaines par lesquelles ils ressentent de la fascination ou du rejet, et qu'ils sont amenés à traduire. Je parle enfin, de cette volonté des enfants de se traduire, se faire comprendre auprès des adultes qui parfois sembleraient ne pas parler la même langue ou pas de la même façon.
La Malinche, une adolescente à l'époque, parlait le maya (sa langue natale), le nahuatl (qu'elle a appris lorsqu'elle fut offerte en tant qu'esclave) et l'espagnol (qu'elle apprit auprès de Cortés quand elle lui fut offerte). Mais plus que la traductrice de Cortés, elle est devenue son guide, car il ne s'agissait pas seulement de trouver les mots mais aussi d'expliquer, de négocier, de créer un pont entre ces deux cultures qu'ignoraient jusqu'alors l'existence de l'autre. Les indiens croyaient que les espagnols étaient la réincarnation de leur Dieu, Quetzalcóatl; les espagnols, eux, voyaient dans les terres qu'ils venaient de découvrir le paradis perdu de la Bible, les terres et les monstres fantastiques de la littérature médiévale. Chacun avait projeté sa propre culture (ses propres fantasmes) sur l'autre, et la Malinche devait déconstruire ces projections, ou alors jouer stratégiquement avec elles.
Avec la comédienne Gabriela Alarcón, nous aimerions mettre en scène l'histoire de la Malinche tout en la rapprochant de notre actualité, de ces Malinches contemporains qui sont les enfants qui vivent en France aujourd'hui. ¿Comment se représentent-t-ils l'Autre? ¿Qui est l'Autre, et comment se définissent-ils par rapport à lui? ¿Comment se traduisent-ils les uns les autres quotidiennement?
Afin d'aborder de façon concrète ces questions abstraites, nous travaillerons à partir d'une matière très suggestive : le Lienzo de Tlaxcala et le Codex florentin, deux documents historiques du XVIème siècle qui racontent la conquête avec des dessins, comme dans une BD. Dans les différentes vignettes on peut distinguer toujours très clairement les espagnols d'un côté et les indiens de l'autre, et, au milieu, la Malinche qui essaye de réunir ces deux univers.
Il s'agira pour les enfants de transposer – traduire – ces images à leur quotidien et de se demander entre quelle cultures ils se sentent médiateurs – Malinches –, et comment ils se représentent ces cultures.
Nous mêlerons ainsi l'histoire de la conquête aux vécus de ces enfants aujourd'hui, d'abord à travers les dessins et ensuite à travers le jeu, afin de créer une BD animée sur scène.
En parallèle, il s'agira pour nous – comédienne, metteure en scène, dramaturge – de nous imprégner de la vision des enfants, de leurs dessins, de leurs propositions, afin de les transmettre sur scène dans leur absence. Dans cette deuxième création, celle qui est destinée à poursuivre son chemin après la résidence dans l'école, il s'agira de mêler sur scène nos histoires, nos BD: celle de la Malinche, celle des enfants, et enfin la notre, artistes-traductrices, artistes-migrantes.
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