http://planteunregard.com/parleras-tu/
Parleras-tu ? est un projet d'échanges et de création qui se construit avec des enfants et des adolescent.es pour questionner les rapports de dominations qu'ils et elles subissent ou reproduisent. Par la rencontre avec des jeunes sur différents territoires, dans le cadre de résidences, nous souhaitons croiser création et transmission. Grâce à la récolte de témoignages, nous utilisons la création sonore pour entendre des paroles trop souvent invisibilisées et créons un fil entre écriture du réel et écriture poétique. Convaincues que l'intime est politique et que le clown a un pouvoir poétique de remise en question et de mise à distance du réel, l'organicité dans le jeu est au cœur de notre travail. Parleras-tu ? sera un solo de théâtre documentaire où se mêleront jeu clownesque et création sonore.
Intention : Enfant: du latin infans, infantis «qui ne parle pas». « N'est-ce pas tout particulièrement dans l'enfance qu'on nous inculque un rapport au monde tissé de dominations, que nous sommes amenés ensuite à reproduire ? » Yves Bonnardel, La domination adulte (éd. Myriadis, 2016). Dans ce « plaidoyer pour l'égalité enfants-adultes », il remet en cause le statut de mineur et « pense l'enfance comme une institution sociale ». Dépendant.es à plein de niveaux et exclu.es de la sphère politique, les enfants subissent une domination structurelle qui s'ajoute à celles liées à leur genre, leur classe sociale et leur origine ethnique (entre autres). Cela donne lieu à des discriminations croisées qui s'expriment de manière complexe et sont propres à chaque situation. Nous souhaitons développer des outils pour réhabiliter la parole des enfants, et leur permettre de se les approprier. Avec elles et eux, nous interrogerons la notion d'intersectionnalité (concept visant à révéler la pluralité des discriminations de classe, de sexe et de race) appliquée à l'enfance. Par ce prisme, nous souhaitons aborder des problématiques individuelles tout en questionnant certaines oppressions systémiques. Comment les rapports de pouvoir s'instaurent-ils dès l'enfance ? Quelles inégalités s'observent dans une cour de récréation ? Nous interrogerons les peurs et les rêves des enfants, souvent produit.es par les livres, les films, les dessins animés et la publicité. Qu'allons-nous découvrir ensemble de notre imaginaire collectif ? Des princes charmants et des princesses en détresse ? Des guerrières et des garçons à sauver ? Du coin au fond de la classe au « privé.e de dessert », en passant par les gifles à la maison pour certain.es, la punition rythme la vie de beaucoup d'enfants. Cette peur de ne jamais faire comme il faut est sans doute très importante dans la construction des individu.es. Comment échapper à l'imaginaire viriliste, romantique et hétérosexiste ? À l'idéal du self made (wo)man à la française ? Quelle liberté est laissée à l'imaginaire des enfants ? Quelles remises en cause sont possibles ?
Processus : Nous inventons un processus original à la frontière entre clown, création sonore et documentaire, pour interroger les rapports de domination que les enfants subissent ou reproduisent. La clowne Saccage (Eva Guland) enquête dans une école, sous le regard et le microphone bienveillant d'Estelle Lembert. Le dialogue s'invente, les voix sont enregistrées, la création commence avec les enfants. Pour creuser ces questions avec les élèves, nous menons des sessions de « récolte », en plus d'ateliers de pratique (clown et son). Il s'agit d'échanges entre la clowne et les enfants, enregistrés par Estelle.
Pistes de dialogue envisagées : « T'es qui ? Tu viens d'où ? Sur une échelle de 1 à 10 t'es plutôt fille ou garçon ? Tu rêves de quoi ? D'aventure ? De prince charmant ? Tu veux faire quoi quand tu seras grand.e ? T'es déjà grand.e ? Ou minuscule ? T'as envie de travailler ? D'avoir une famille ? Une maison ? Un chien ? Quand t'étais à l'école maternelle, tu savais ce que tu ferais comme métier plus tard ? Ça t'intéresse l'école ? T'as envie d'aller courir dans les champs ? T'as peur de quoi ? C'est quoi la liberté ? T'as le droit de dire quoi ? Tu te sens jugé.e ? Tu juges qui ? Moi je me souviens pas de quand j'étais petite je me souviens de presque rien juste des ballons dans tous les sens des ballons qui volent vers moi... Maintenant j'essaye de me souvenir je me sens toute petite et pourtant je suis immense. J'ai tout le temps peur et je sais pas pourquoi. Il paraît que c'est les enfants qui ont peur il paraît que je suis une adulte il paraît qu'y a pas de raison d'avoir peur il paraît que les hommes aussi parfois ont peur.»
Là, entre le monde de l'enfance et celui des clown.es, dans les jeux de mots, de rires et de larmes, se fabrique l'espace du dialogue : la rencontre. L'interview n'est pas journalistique, elle est sensible et insensée. Aucune injonction à dire la vérité, mais la possibilité de trouver une parole vraie et de parler de soi par une histoire qui s'invente. Et si les langues se déliaient pour faire émerger des rêves ? On pourrait jouer avec la parole automatique, sortir de la bienséance et du respect de la grammaire. On pourrait laisser aller une parole spontanée et jouer avec le mensonge. Et si on ne cherchait pas à dire le mot juste, mais juste des mots. Ensuite, nous sélectionnons et nous cherchons le rapport de domination qui fabrique l'inquiétude de l'enfant qui parle. Avec quel événement de la grande Histoire ça résonne ? Quel effet sur Saccage, sur sa propre sensibilité ?
Le spectacle : Par un travail de création sonore et d'écriture, les histoires du sac à sons se mêleront à des faits historiques ou mythologiques. Ensuite, lors des différents épisodes du spectacle, la clowne Saccage convoquera les souvenirs de ses rencontres, et laissera la petite histoire résonner avec la grande. Puisant son origine dans les figures de clown.es traditionnel.les, elle nous parle de vulnérabilité et d'émancipation. Goûtant le présent avec beaucoup de curiosité, elle interroge notre monde et dénonce les systèmes d'oppression et la violence. Elle joue avec les grandes questions et fait leur fête aux idées reçues. Puissante et légitime, elle crie sa rage avec joie, crache sa sensibilité à la face du monde, questionne son pouvoir d'agir sur un système qui lui échappe. Ses échanges avec les enfants l'aident à observer avec naïveté, les yeux grands ouverts et brillants. Et peut-être qu'elles et eux aussi, du temps de la récolte au temps du spectacle, interrogeront leur rapport au monde. Seule en scène, Saccage pourra jouer à s'écouter elle-même. Mais surtout, ce sont les voix des enfants qui résonneront. Celles et ceux qui auront participé à la création pourront s'entendre en assistant à la restitution et penser la légitimité leur propre parole. Pour d'autres –enfants, adolescent.es mais aussi adultes -ces récits pleins de subjectivité feront sans doute écho à leur propre histoire. Pour enrichir le spectacle, d'autres éléments se glisseront dans le sac à sons. Le personnage de Wiki Pédia, interprété sans faillir par une voix de synthèse, pourra apporter des précisions théoriques. Des personnes venues d'ailleurs, une radio, des archives sonores... les voix off seront autant de personnages avec lesquels dialoguer. Et il se peut que cet étrange sac à sons recèle bien des surprises et prenne parfois son autonomie. La clowne se laissera alors surprendre, se mélangera les sens, s'inventera des jeux absurdes, et se fera parfois déborder par sa propre histoire. Pour faire entendre ces paroles à tous et toutes, Parleras-tu ? est une création pour l'espace public. Ainsi, nous nous interrogeons sur notre propre parole, sur notre subjectivité dans le documentaire, mais aussi sur la situation d'énonciation et les codes de représentations.
Par le(s) artiste(s)