Mont-Blanc

#2 Et là, c'est le drame

Publié par Alice Chemama

Journal du projet

Seconde expédition

article

Février, de retour dans la vallée, nous laissons les légendes derrière nous et partons explorer ensemble les faits historiques du Mont-Blanc, situé à une cinquantaine de kilomètres de l'école.

Novembre 1950, un constellation de la compagnie Air India reliant Bombay à Londres et portant 48 personnes à son bord vient percuter une arrête du Mont-Blanc, c'était le Malabar Princess. Mais pourquoi ce crash résonne-t-il encore aujourd'hui dans la vallée de Chamonix ?

J'imagine que son nom y est pour beaucoup, « Malabar Princess » on croirait presque au titre d'une BD ou d'un roman d'aventure. Et puis le drame, un crash aérien, c'est un symbole d'échec du progrès humain, une scène qui en elle-même est inconcevable tant elle est violente et lourde de pertes. Alors quand la tragédie se joue sur un lieu aussi mythique que la montagne la plus haute d'Europe, on risque d'en entendre parler. Et d'autant plus quand elle se répète. Seize ans plus tard, c'est un boeing de la même compagnie qui termine sa course presque au même endroit, avec ses 177 personnes à bord et plusieurs dizaines de singes transportés en soute. Or cette fois-ci, la thèse de l'accident est remise en question et des preuves sont mystérieusement confisquées par les autorités. Mais qui se rappelle du Kangchenjunga...

Glacier des Bossons
Extrémité du glacier des Bossons

Entre alors en scène le glacier des Bossons, qui va donner à ces tragédies une dimension éternelle. Année après année, cet amas de glace mouvante entraîne dans sa descente les débris d'appareils, objets personnels et restes humains qui resurgissent encore aujourd'hui. En 2013 un alpiniste y trouve même des sachets de diamants estampillés Made in India.

Ces crashs font partie de l'histoire de la vallée, et la question de la mémoire des victimes reste d'actualité face à ce tombeau informel à ciel ouvert, dont les limites et le respect restent flous.

Avec les enfants nous avons redécouvert l'histoire de ces avions via la lecture d'un conte - Maudit Mont-Blanc - et la projection d'un documentaire de France 3 - Les Fantômes du Mont-Blanc. Puis nous nous sommes lancés dans la réalisation de notre propre mémorial, en dessinant les objets qui ont été et auraient pu être retrouvés là-haut. Un objet par post-it pour finalement composer la mosaïque de la mémoire du glacier des Bossons.

Objets trouvés

Pour terminer notre travail autour de la mémoire des objets, je leur demande cette fois-ci d'en dessiner trois qui les représentent, et qui pourraient les identifier s'ils les laissaient derrière eux. Nous obtenons quelques jeux vidéos, des livres, des baskets et des joggings nike, une foule de doudous, une figurine Son Gokou, un coffret collector de Star Wars, ...

Si vous étiez trois objets...
BD

Le reste de la semaine, nous sommes revenus sur la mémoire du glacier, mais aussi sur cinq autres histoires : La première ascension du Mont-Blanc par Jacques Balmat et Michel Paccard en 1786, celle de Marie Paradis, première femme au sommet en 1808, et de Marie Angeville trente ans plus tard, seconde mais première en tant que réelle alpiniste, les premiers Jeux Olympiques d'hiver à Chamonix, et enfin « l'Affaire Vincendon et Henry » à l'origine de la création de pelotons de gendarmerie de secours en Haute-Montagne.

Les enfants répartis en groupes ont reçu une histoire décomposée en bandeaux narratifs, bulles et onomatopées à remettre dans l'ordre, avant de créer des cases et d'illustrer les faits. Nous avons ainsi obtenu 6 grandes pages de BD narrant des histoires du Mont-Blanc.

Bande-dessinées

L'exercice s'est avéré assez compliqué pour certains, d'autant plus que nous avons été rattrapés par le climat conflictuel de la classe qui me semble hérité de l'extérieur de l'école. Plusieurs fois en salle des profs j'ai entendu des histoires terrifiantes de parents qui se frappent à la sortie, d'accusations de harcèlement, d'enfants livrés à eux-mêmes, ... Ce midi-là, l'une des instits terminant tranquillement son yaourt sort d'un ton cynique : «Bienvenue dans la zone sinistrée de la Haute-Savoie.»

Durant cette semaine, je découvre avec tristesse que plusieurs enfants de la classe grandissent dans un esprit individualiste et de méfiance les uns envers les autres qui les empêche de collaborer et pollue le groupe entier. Dans celui qui dessine l'ascension de Marie Paradis, c'est l'embrouille depuis le début. L'une des élèves fond en larmes devant moi. Elle n'a même pas dix ans mais elle est déjà à bout de nerfs : «J'en peux plus » . Cette ambiance de classe l'empoisonne.