Brice Aulin - The World First Ever... (The First World Ever), 2020. Broderie au point de croix, MDF, peinture acrylique noire.

Création en Cours - recherches

Publié par Brice Aulin

Voici un exemple du travail de recherches que j'effectue en parallèle des recherches plastiques pour chaque oeuvre.

Trou Noir 

Le 10 Avril 2019, le projet Event Horizon Telescope publie la première image au monde d’un trou noir supermassif (environ 6 milliards de masses solaires). Il se situe au cœur de la galaxie Messier 87, à environ 55 millions d’années-lumière de la Terre.

 

La première vraie image d'un trou noir | Pour la Science

 

Première photographie du trou noir M87*

 

Cette première photographie d’un trou noir a été réalisée à partir d’un télescope virtuel, dont le diamètre est équivalent à celui de la Terre. Il s’agit en fait de la combinaison des données récoltées par huit radiotélescopes à travers le globe (ALMA et APEX au Chili, Pico Veleta en Espagne, JCMT et SMA à Hawaï, GTM au Mexique,  HHSTO aux USA/Arizona, SPT en Antarctique).

 

How Does the Event Horizon Telescope Work? - Sky & Telescope - Sky ...

 

Positionnement des télescopes employés à la surface du globe.

L’intérêt d’un tel dispositif est de pouvoir obtenir une résolution d’image beaucoup plus importante, l’objet étant très loin et très petit (il nous apparait des dizaines de millions de fois plus petit que la Lune). Un télescope optique, comme Hubble (en orbite autour de la Terre) ou même le plus puissant des interféromètres optiques (combinaison de plusieurs télescopes optiques) serait très largement insuffisant pour obtenir une image d’un trou noir. Il a donc fallu créer un interféromètre avec les plus puissants radiotélescopes sur Terre, d’un diamètre d’env. 10 000 km et profitant également de la rotation de la Terre.

Pour que les données récoltées soient cohérentes, l’ensemble des radiotélescopes ont été synchronisés par des horloges atomiques. L’exercice est d’autant plus difficile que la météo sur Terre peut impacter la réception, il en est de même pour toute la matière qui se trouve entre la Terre et l’objet visé.

L’équipe, composée d’environ 200 scientifiques, a récolté les données au printemps 2017. La quantité totale de données est colossale : 5 Pétaoctets (soit 5 000 To). Le réseau internet n’étant pas assez puissant pour acheminer une telle quantité de données au centre d’interprétation, il a fallu stocker les informations sur des disques durs physiques. L’acheminement des données, en partie par avion, a été ralenti par les conditions météos sur le site du SPT en Antarctique. Plusieurs mois ont donc été nécessaires pour rassembler l’ensemble des disques durs.

Cependant, même avec un télescope virtuel d’un diamètre comparable à celui de la Terre,

Les antennes des radiotélescopes ne sont pas suffisamment nombreuses pour reconstituer le « puzzle » du trou noir dans son intégralité. En collaboration avec les astronomes du projet EHT, la chercheuse Katie Bouman, alors encore étudiante au MIT, a réalisé un algorithme qui permet de compiler puis extrapoler les données récoltées. La chercheuse explique que l’algorithme, pour faire simple, fait le tri dans les parasites et extrapole les zones manquantes. En appliquant des techniques de machine learning, il s’est entraîné à reconstituer des milliers d’images du quotidien. Puis cette technique a été appliquée à l’image parcellaire du trou noir, sans être influencé par les modèles physiques théoriques. La prouesse a permis de confirmer des prédictions faites par Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale. Cette confirmation n’est pas la première, mais elle est confortée par le fait qu’elle s’applique à un objet aussi massif qu’un trou noir.

 

 

Mise à l’échelle du trou noir M87* comparé à notre système solaire, et Voyager 1, la sonde envoyée dans l’espace il y a plus de 40 ans et se trouvant à environ 20h lumière de la Terre.

Les trous noirs sont des objets tellement denses que rien ne peut s'en échapper, ni matière, ni lumière, ni onde radio. Ils sont donc invisibles. La photographie de M87* nous dévoile un disque, jaune/rouge orangé, et une ombre noire au centre. Ce qu'on observe sur l'image en orange, c'est le disque d'accrétion de la matière siphonnée, du gaz et de la matière chauffée et l’horizon des évènements, la frontière du trou noir, ou plus exactement son ombre (le trou noir lui-même est un disque dont le rayon est 2,5 fois plus petit que celui du cercle noir de l'image).

Ces images sont réalisées en fausses couleurs : les antennes des satellites mesurent des ondes radios, qui sont invisibles à l'œil nu. Les scientifiques ont décidé ici que le jaune représentait les zones de rayonnement le plus intense, où les gaz sont chauffés à plusieurs millions de degrés.

La partie basse est plus brillante que la partie haute à cause l’effet Doppler, du fait de la position de l’observateur, le disque d’accrétion étant certainement homogène.

Le projet EHT, dont les télescopes avaient visé M87*, était principalement voué à prendre la première photo du trou noir Sagittarus A*, potentiel trou noir situé au centre de notre galaxie. Il s’agit d’un trou noir beaucoup moins massif (« seulement » environ 4,5 millions de masses solaires, contre env. 6 Milliards pour M87*) qui se situe à env. 25 900 années-lumière de la Terre. Bien que Sagittarus A* soit beaucoup plus proche de la Terre que M87*, il est relativement petit. Plus l’objet ciblé et petit, plus grand doit être le télescope.

Cette partie du projet n’a donc pas abouti, mais il est prévu que l’expérience soit renouvelée, même si elle n’a pas pu avoir lieu en 2018, 2019 et 2020.

 

Broderie

La broderie au point de croix consiste à reproduire une image sur une toile, en réalisant des croix à l’aide de fils colorés. Les plus anciens fragments de broderie au point de croix remontent à 850 après J.C., et provenait d’Asie. En Europe, la technique s’est répandue au Moyen-Âge, entre le Xe et le XIIIe siècle. Les motifs réalisés sont essentiellement des fleurs, ornements, lettrages et symboles religieux. Au XVIe, les diagrammes – schémas à suivre permettant la réalisation de la broderie – sont imprimés en série. Les teintes vont ensuite se développer, et les diagrammes devenir plus réalistes, donnant ainsi des motifs de paysage et des compositions plus détaillées.

C’est une activité à l’origine féminine, on dit que les brodeuses au Moyen-Âge était principalement des châtelaines qui attendaient le retour de leur époux en confectionnant des broderies sur du mobilier, des vêtements, des toiles.

Les magazines féminins apparaissent dans les années 1800 et la broderie se démocratise. La broderie est enseignée à l’école des filles et devient un passe-temps des femmes de tous âges et de toutes classes.

Le point de croix est ensuite délaissé au profit de techniques de broderies plus libres, puis au XXe siècle les guerres mondiales contraignent les femmes à d’autres tâches. C’est seulement dans les années 1980 que le point de croix refait surface, avec des motifs contemporains, et par la suite les diagrammes pourront être produits d’après des photographies.

Aujourd’hui les diagrammes sont divers, paysages, animaux, natures mortes, abécédaires et personnages sont les motifs les plus répandus.

 

 

 

 

 

The World’s First Ever (The First World Ever), 2020.

47 x 34 x 3 cm, Broderie au point de croix,MDF, peinture acrylique.

 

The World’s First Ever (The First World Ever) est une broderie au point de croix sur une toile noire.

Elle reprend comme motif la première image d’un trou noir, celle de M87*. Le diagramme a été généré par ordinateur, et le nombre de nuances correspond au nombre maximales de teintes disponibles dans le nuancier DMC[1] et correspondant aux couleurs de la photographie.

 

À gauche : fragment du diagramme de la broderie, à droite : nuances DMC utilisées

 

Le titre The World’s First Ever (The First World Ever), que l’on peut traduire littéralement par « Le tout premier au monde (Le tout premier Monde), fait d’abord référence à l’ambivalence intrinsèque du trou noir. C’est un objet céleste qui annihile tout ce qui s’approche trop près de lui, mais en même temps, selon certaines théories scientifiques, il pourrait également être à l’origine de notre univers. Des trous noirs primordiaux quant à eux seraient - comme leur nom l’indique – apparus lors de la jeunesse de notre univers.

 

The World’s First Ever Monster Truck Front Flip est le titre d’une chanson du groupe Arctic Monkeys, réalisée sur l’album Tranquility Base Hotel and Casino sorti en 2018. Les paroles de cette chanson se réfèrent au premier salto avant réalisé par un monster truck lors d’un show américain en Mars 2017. L’album s’inspire de la science-fiction littéraire et cinématographique, dont les problématiques portent sur l’avancée technologique, le progrès et le divertissement.

Le monster truck qui est dépeint dans la chanson éponyme est le symbole d’un enchevêtrement du divertissement et de l’avancée technologique, où la prouesse est à la fois stupéfiante et inattendue. Le mélange de ces deux industries, à l’image des monstres de foire, donne à voir un spectacle d’un nouvel air, entre extase et épouvante. Il est facile d’y voir de la beauté dans l’exécution, dans la prouesse mondiale en tant que première, mais également l’effrayant potentiel destructeur d’un avenir où la science peut engendrer une multitude de « monstres ».

 

Les craintes d’une apocalypse créée de toute pièce par la science n’est pas nouvelle, elles se sont mêmes particulièrement illustrées en 2008, avant que le CERN ne démarre pour la première fois le LHC (grand collisionneur de hadrons). Cet accélérateur de particules est présenté comme le plus grand dispositif expérimental jamais construit par l’homme pour valider des théories physiques.

Une grande partie de la population voyait dans cet évènement un fort potentiel apocalyptique. L’une des théories avancées présentait l’éventualité d’un trou noir grandissant et avalant la terre entière. Bien que ces théories puissent paraître fragiles avec le recul et l’expérience de l’évènement passé, elles furent largement diffusées et amplifiées. Paradoxalement, ce sont ces nouvelles technologies qui ont donné naissance à des moyens de communications puissants et à portée mondiale - tels qu’internet et les réseaux sociaux alors en plein essor – qui ont contribué à la diffusion de la peur à travers le globe.

 

L’expérience scientifique de l’EHT offrant la première photographie d’un trou noir, en l’occurrence celle de M87*, a évidemment un caractère moins périlleux dans son exécution. Elle présente néanmoins un objet jusqu’alors fantasmé, ou au mieux modélisé par ordinateur.

 

 

Simulation par ordinateur d’un trou noir et son disque d’accrétion réalisée par Jean-Pierre Luminet en 1979.

Ces modélisations alors basées sur des observations et des calculs régis par la théorie de le relativité générale dévoilent, sous forme d’un nuage de pixels ou de points, la matière qui s’amasse autours de l’horizon d’un trou noir, permettant ainsi de dessiner les contours d’un objet qui par définition est invisible. Elles révèlent le potentiel visage d’un phénomène jusqu’ici difficile à illustrer, à savoir l’emprise qu’un tel objet peut avoir sur son environnement, et l’issue fatale de toute chose s’approchant de trop près de celui-ci.

 

En considérant les théories scientifiques avançant qu’un trou noir de ce type pourrait se trouver au centre de chaque galaxie, y compris la Voie Lactée, on peut imaginer l’impact de la connaissance d’un objet sur la pensée humaine. La noirceur, le drame, le surnaturel, l’abîme et les ténèbres sont autant de versants qu’affectionne la pensée romantique du XVIIIe et XIXe siècle.

C’est d’ailleurs à cette époque que les scientifiques John Michell et Pierre Simon de Laplace ont imaginé un objet céleste dont la masse est tellement grande qu’elle empêcherait tout échappement de la lumière.

 

« Les trous noirs ne sont pas des ogres qui avalent tout sur leur passage, au contraire, ils ont même tendance à stabiliser les structures cosmiques » Aurélien Barrau, Rencontre du Ciel et de l'Espace 2018, Cité des sciences de la Villette.

 

[1] DMC est une des marques les plus répandues dans l’univers de la broderie, un nuancier permet de reconnaître les teintes par leurs références.