Jour 1

Jour 1

Publié par Paul Toucang

Cette nuit la neige est tombée, alors ce matin je conduis ma clio bleue très lentement sur les routes du Gers.

Je roule presque à vitesse d’escargot car ma mère m’a dit de faire attention au verglas. Elle m’a dit : « En cas de verglas, roule très lentement ». Je roule très lentement aussi parce que j’appréhende cette première rencontre. Boule au ventre. Comme quand j’étais petit, l’appréhension du premier jour d’école. « On ne change pas » dit Céline Dion. Moi adulte non plus je ne change pas. Je chante au volant.

Je me demande ce que va donner cette résidence en milieu scolaire, vis ma vie version Ministère de la Culture… A moi de découvrir ce que c’est qu’être enfant et écolier ici dans le Gers en 2018. J’arrive à 8h50. Je me gare devant l’école communale de Pergain-Taillac. 25 élèves de CE2/ CM1/ CM2 m’attendent. Suspens. Silence. Ils m’observent. Je me présente. Chuchotements. Il est ACTEUR ? Mais alors vous êtes ACTEUR ! Puis, avalanche de questions comme une éclosion de rêves : vous avez joué dans des films ?  Des films célèbres ? Vous avez joué à l’étranger ? Quels pays ? Qu’est-ce qu’on va faire ensemble ? On va se déguiser ? On va jouer des animaux ? Est-ce que les animaux jouent au théâtre ? Est-ce que je peux jouer un panda ? Une licorne ? Est-ce que je peux jouer un clown ? Est-ce que je pourrais mettre le costume d’un personnage du premier siècle de l’humanité ? Et est-ce qu’on va danser ?

Nous faisons un tour des prénoms. Je leur demande de me dire leur prénom et ce qu’ils préfèrent dans la vie. Je fais connaissance avec Thibaut, qui aime les pandas, Yanis, qui aime faire rire, Néréa qui aime les maisons (l’architecture et la vente immobilière), Gaël, qui aime le sport, Mathis, qui aime parler, Melissa, qui aime courir (l’athlétisme ? Non, seulement courir, n’importe où n’importe quand), Rafael, qui aime le moto cross, Philippe, qui aime le bricolage, Mathias, qui aime l’agriculture, Eva, qui aime les chevaux, Milo, qui aime les dragons et les démons, Heidi, qui est très timide et n’ose pas me dire ce qu’elle aime (si, les pandas), Hamza qui aime faire rire, Steven, qui aime le foot et les câlins, Charlotte, qui aime les animaux, Kayan, qui aime les sports mécaniques, Marion, qui aime voyager, Mélissa, qui aime les licornes, Fanny, qui aime le judo et les licornes (c’est la mode de la passion des licornes dans cette classe), Margot, qui aime les animaux, Lara, qui aime l’écologie, Joshua, qui aime courir et faire du foot, Eva, qui aime les chevaux, Oyen, qui aime les voitures, Manon, qui aime les bébés. Panda, licorne, cheval, bricolage, agriculture, danse, football, ils disent ces mots comme des mots d’amour et avec quelle puissance ! Quelle simplicité, quelle spontanéité parfaite.

Puis le cours commence. Je m’installe à l’arrière de la classe. En position d’observateur participant (mon rôle préféré). Je garde pour moi le secret de ma question : qu’est-ce c’est qu’être enfant ici à Pergain-Taillac en 2018. J’ouvre les yeux. Je vois du théâtre partout. Une mise en scène avec ses lignes verticales furtives, ses levées de main. Le rythme des questions posées par la maitresse. Puis, silence. J’entends : « Une phrase commence par une majuscule se termine par un point. ». J’entends : « Groupe nominal ou pronom ? ». Silence. « Je sais. J’ai trouvé ! j’ai trouvé ! ». Un autre : « Moi j’ai pas trouvé ». Un autre : « S’il vous plait ! s’il vous plait ! ». Celui-là va au tableau, entoure le groupe nominal de la phrase. Quelle fierté d’aller au tableau et d’entourer le groupe nominal de la phrase. Coup d’œil aux autres. Silence. Rafael s’endort. « T’as mal dormi Rafael ? » La question de la maitresse est pleine de douceur et d’attention, si rare dans nos villes. Certains discrètement parlent avec le voisin. Moi, au fond de la classe, j’observe, je note. J’essaye de retenir les prénoms. Je m’immerge. C’est un va et vient constant, flux et reflux d’enfance, vagues de mémoire. Je me souviens.