L'ornement comme organe sculptural

L'ornement comme organe sculptural

Publié par Anaïs Gauthier

Je poursuis progressivement la construction de ma sculpture en affirmant mes choix et en la voyant s'ériger doucement.

Ornement

Mes inspirations architecturales pour créer la structure en bois sont les charpentes et les architectures gothiques qui sont constituées d’arcs, défis à la fois technique et esthétique, notamment pour laisser pénétrer le plus de lumière possible dans l’édifice. Le bois cintré que j’assemble à ma structure évoque, par exemple, des arcs-boutants dénués de leur fonction de renforcement qui contrerait une quelconque poussée latérale. Ces courbes ne sont pas présentes pour leur utilité pratique mais pour leur valeur d’ornements, afin d’amener une complexité formelle à l’intérieur de la structure en bois. L’ornement amène le spectateur à se détacher de la forme globale pour s’attarder sur une lecture d'un détail qui devient alors presque abstrait. Thomas Golsenne écrit que « Worringer avait déjà observé ce phénomène dans l’art gothique : la ligne gothique, dit-il, n’est ni abstraite ni figurative. Elle ne relève ni de la tendance naturelle chez les Égyptiens par exemple à la géométrie, à la rationalisation mathématique, ni de la tendance plus fréquente chez les Grecs et les modernes à l’empathie avec les formes organiques : elle est dotée d’une vie "non organique". » L’ornement habille, en quelque sorte, et donne un caractère spécifique à la structure. Il lui confère également un mouvement  par la dynamique des courbes. Mon intérêt pour le mouvement est avant tout une volonté de donner une impulsion de vie à la sculpture que je réalise, en essayant de ne pas la figer. Cela passe autant dans la possibilité de se mouvoir que dans ses formes, mais également en devenant un incipit pour le spectateur.

Intériorité

L’ornement m’intéresse car j’établis un parallèle entre l’intérieur d’un corps organique, composé de nombreuses courbes, et les ornements présents à l’intérieur de ma structure. La structure reste un squelette, ainsi le bois cintré vient complexifier et densifier la vue d’ensemble car les ornements restent apparents. Le rapport au corps est toujours présents dans mes sculptures, autant dans leur frontalité par rapport aux spectateurs que sur les éléments qui témoignent d’une ambiguïté et d’une étrangeté. Les formes en apparence molles, souvent organiques, ou les courbes des ornements de la structure en bois que je réalise actuellement questionnent mon rapport au corps dans son intériorité. Tout ce que la peau recouvre et cache de notre corps m’impressionne et me met mal à l’aise car je ressens une forte aversion face à ces textures, liquides et couleurs. Le sentiment de répulsion et d’étrangeté est présent dans la matérialité et la couleur de la bobine faisant penser à du miel, de la sève, ou ayant un aspect répulsif. La sève et le sang ayant le même rôle.

Détail de la sculpture, bois cintré, tube PVC coloré avec de la cire.
Détail de la sculpture, bois cintré, tube PVC coloré avec de la cire.

Choix et temps

Marcel Duchamp dit qu’« une œuvre d’art est un choix », c’est même une multitude de choix qu’il faut assumer et que l’on doit accepter dans le temps. On doit les faire de façon en apparence arbitraire, mais ils sont réfléchis, et le temps intervient pour les affirmer ou les changer. Le recul, qui peut prendre deux heures comme deux jours, les essais que l’on imaginait correspondre à ce que l’on voulait raconter sont revus pour être plus juste ou au contraire nous satisfaire. Initialement, je pensais pouvoir être plus productive en ayant un atelier disponible en permanence, mais je me rends compte à quel point il est nécessaire de s'arrêter, de prendre le temps et parfois d’être inactive pour que les choses deviennent évidentes.