Comme l'on cueille pour se nourrir ou pour se soigner, nous avons cueilli pour créer. Créer des couleurs nouvelles, propres au territoire, qui ne sont celles ni de nos crayons ni de nos vêtements. Des couleurs qui nous entourent, mais que nous ne pouvons voir…
Je parle de celles cachées dans les racines, les feuilles, les écorces, ces couleurs primitives et précieuses, dont les lointains secrets de fabrication racontent une partie de notre histoire. Créer un nuancier sauvage, c’est appréhender la couleur d’une manière sensible et poétique, c'est renouer un lien avec la nature, tout en se questionnant sur nos gestes envers elle.
Mon métier de designeuse graphique me confronte souvent à des situations de précarité qui me poussent à m'interroger sur le sens de mon travail ainsi qu'à son impact sur la société et l'environnement. C'est pourquoi depuis plusieurs années, je développe une pratique de recherche liée à la nature et à l'artisanat.
Cette recherche a commencé pendant mes études et questionne nos usages de la couleur, notamment en impression. Jusqu'alors, j'abordais la couleur comme une simple étape de travail, un choix, conditionné par la technique et l'industrie. Ayant toujours favorisé des processus de création empiriques, aléatoires et sensibles, j'ai trouvé dans la nature une alternative qui me permet de redonner un pouvoir narratif aux couleurs.
Avant la fin du 19e siècle, la production de couleurs servant principalement à l'industrie textile était végétale. Puis, les pigments de synthèse voient le jour et font basculer petit à petit l'histoire de la couleur vers l'ère de la consommation de masse et de la standardisation. Lorsqu'autrefois, ses usages témoignaient de l'histoire, de l'économie et des symboles religieux, politiques et sociaux de l'époque, aujourd'hui, la couleur est surtout le marqueur de tendances dictées par la mode.
Sur les traces de nos ancêtres de Lascaux et des teinturiers du Moyen-Âge, j'ai commencé à fabriquer des couleurs à partir de plantes. Cette expérience m'a fait plonger dans l'histoire et découvrir des techniques qui m'ont menée à la rencontre de passionné·es et professionnel·les. En 2016, j'ai collaboré avec Michel Garcia, spécialiste de la couleur végétale, afin d’élaborer des encres à partir de trois plantes, destinées à un projet en sérigraphie. Par leurs métiers, M. Garcia et ses confrères·sœurs travaillent à la préservation d'un patrimoine de savoirs-faire et de plantes et participent à relancer une filière textile respectueuse de l'environnement.
Dans le milieu du dessin et du graphisme, il existe une niche de la micro-édition, qui valorise le retour à l'impression artisanale, en s'affranchissant de logiques capitalistes. Les pratiques qu'elle engendre favorisent l’expérimentation à petite échelle de nouvelles techniques et de nouveaux formats. Ma résidence Création en cours s'inscrit dans ce contexte et me permettra de mêler mon approche de la couleur végétale à mon travail de designer graphique, afin de dessiner les contours d'une nouvelle pratique écosensible. En parallèle, je développerai le potentiel pédagogique de cette recherche avec la classe élémentaire de Salin-de-Giraud, par le biais de balades et d'ateliers. L'aboutissement de ce projet prendra la forme d'un nuancier collectif du territoire, qui permettra de développer chez l’enfant et l’adulte, une sensibilité et un regard nouveau sur la nature qui l’entoure.
Références :
Le studio néerlandais RAW Color et ses expériences sur la couleur
Le workshop de la Paillasse pour faire pousser ses couleurs avec des bactéries
Binh Danh et ses photographies sur feuilles d'arbres
Le Tricyclette et son atelier mobile de fabrication d'encres de légumes
Les Concasseurs: atelier pour les enfants, sérigraphie avec des matières glanées
Les anthotypes de Kristof Vranken
L'atelier encres végétales de Auber Fabrik
Jean-Philippe et Dominique Lenclos, "la Géographie des couleurs"
Par le(s) artiste(s)