Tu souffleras plus fort est un projet amorcé en 2017 qui questionne la place de la fabrique et du hasard dans les fêtes et rituels de rassemblements.
Le rituel d'anniversaire est une partition qui s'apprend en même temps qu'elle se suit. Dans ce temps limité d'une journée, à l'aide de chants, de dons et d'invitations, une tradition se crée. Ce déploiement est le même que celui qui se vit au cinéma. Le projet a pour objectif de questionner ces motifs par la préparation et le tournage d'une fiction.
Durant mon cursus dans le secteur photo/vidéo des Arts Décoratifs, j’ai amorcé un travail de recherche autour de la tradition et des rites de fête utilisant les formes de récit documentaire ou de fiction. Durant ces dernières années, j’ai essentiellement parcouru l'est de la France où j’ai pu documenter et prendre part à des fêtes foraines, des fêtes patronales, des carnavals ou encore certains feux de la Saint-Jean. Mon intérêt se porte sur les liens entre l’organisation d’une tradition et le dispositif d’un tournage, ainsi que la manière dont la création d’un artifice et d’une fiction peuvent contaminer et enrichir le réel.
Le processus de création et les étapes d'un film m’intéressent autant que le film fini. J’aimerais que Tu souffleras plus fort s’ancre dans ce processus en me permettant d’expérimenter la réalisation d’une séquence cinématographique avec une classe de primaire où chaque étape, de la création à la projection finale, serait documentée. Les temps d'échec et de réussite seraient ainsi mêlés, et les enfants deviendraient à la fois acteurs et critiques de leur propre film.
Miguel Gomez dans Ce cher mois d’août raconte l’histoire d’une équipe de tournage qui s’aventure dans une région du Portugal pour tourner un film de fiction mais qui échoue : toute l’équipe s’est laissée happer par les fêtes populaires, les bals et les karaokés. Le désir de vie et de cinéma se mêlent et deviennent indiscernables. J'envie cette porosité entre la fête et le cinéma. Le rituel d’anniversaire qui ponctue les années d'école primaire en reproduisant le même scénario d’année en année m’est apparu comme le sujet idéal pour expérimenter cette frontière perméable avec des enfants. Ensemble, nous ferons face à l’ambiguïté entre ce qui peut être rejoué naturellement et le rituel qui fait appel à un certain nombre d'artifices.
A l’instar d’un film, c’est un rituel où les rôles sont répartis dès le moment de l'invitation. Ils définissent la position de celui qui fête face à ceux qui viennent fêter. Le premier ne verra jamais ses bougies soufflées par un autre, tandis que les seconds attendent la présentation du gâteau décoré, pour déclencher un chant unique à l'unisson. Les accessoires et le décor festif (ballon, guirlandes, nappes) indiquent et délimitent la zone d’action, et comme pour un tournage ils sont montés et démontés une fois le jeu terminé.
Pierre Huyghe dans son projet Streamside Day compare la tradition à un monument historique qui devrait chaque année être ré-interrogé. Il décide d’inventer une nouvelle tradition en lien avec la contemporanéité des habitants d’une petite ville et de créer la fête de l’année Zéro. Les habitants d’un nouveau quartier pavillonnaire vivent cette tradition et seront libres de la répéter les années suivantes. Il injecte de la fiction dans le réel pour finalement le modifier.
La première partie de la résidence sera une étude de ce rituel par le biais d’extraits de film, d’anecdotes et de récits personnels. J'aimerais collecter avec les élèves des photographies d’anniversaire sur plusieurs générations, observer les évolutions, demander des témoignages dans les villages et faire un travail de scénarisation en lien avec les histoires du territoire sur lequel je serai installée. A partir de cette collecte je construirai une narration qui pourra mêler les genres : invoquer le burlesque, s’emparer d’un problème politique ou laisser place à une histoire d’amitié.
La sociologue de l’enfance Régine Sirotta évoque dans une analyse les films où les rituels d’anniversaires sont présents et décrit la manière dont cette célébration, qui incarne l’idée d’une vie épanouie, permet aux cinéastes de montrer les failles du lien social et les dissonances d’une société, d’un groupe ou d’une famille.
Tu souffleras plus fort est un titre choisi pour sa double évocation : celle de l'artifice du jeu et de la didascalie mais aussi pour l'évocation du collectif ; d'un rituel fêtant l'individu nous créerons une expérience collective.
Par le(s) artiste(s)