Archive familiale, portrait de Renée et Antoine Le Née, personnages de l'histoire du jour

# 3 Chers enfants, rencontrez-moi et racontez-vous.

Publié par Isabelle Levadoux

Journal du projet

Cet après-midi, c’est le premier atelier et nous allons nous raconter des histoires. Je serai la première à me lancer dans l’exercice. J’arrive en avance pour changer la configuration de la salle. Je retire les tables, ferme les rideaux, mets une chaise au milieu et les 21 autres en cercle autour. Grâce à cette ambiance tamisée, je veux les inviter à s’imaginer dans une soirée des conteurs, au coin du feu.

Je m’assois au milieu et attends. J’entends la cloche, et les pas de Nathalie dans le couloir, suivie des 21 élèves qui courent collés à ses talons. La porte s’ouvre ils sont là. Je les invite à s'asseoir, je sens leur excitation qui grandit quand je leur demande de ne pas ouvrir les rideaux : 

- Ne vous inquiétez pas, vos yeux vont s’habituer, il ne fait pas noir.

Ils chuchotent entre eux, j’attends qu’ils se calment et sans rien dire les bruits s’essoufflent. Je leur explique : 

- Aujourd’hui je vais vous raconter deux histoires. Un conte traditionnel provençal : Jean de l’Ours et l’histoire de mon arrière grand-mère. Pourquoi ces deux histoires ? Car je me prête à l’exercice que nous allons par la suite faire ensemble. Souvenez-vous, le premier jour je vous ai dit que nous allions réaliser, pendant les prochains mois, un film dont vous serez les héros et que ce film serait un documentaire. Pourquoi allez-vous être les héros du film selon vous ? 

- …

- Car le but de ce film, c'est que vous me racontiez qui vous êtes, d’où vous venez, ce qui vous a construit, ce que vous aimez... Je vais donc vous raconter un premier conte pour que l’on voit ensemble comment raconter et structurer une histoire, puis je vais vous raconter une histoire personnelle, celle de mon arrière grand-mère, pour que vous compreniez un peu mieux d’où je viens et qui je suis. 

La séance se déroule dans le plus grand calme, ils m’écoutent et sont très rapidement pris dans les histoires. Ils n’hésitent pas à se moquer de moi quand je m’amuse à faire les voix des personnages. Je joue face à leur rire la voix de l’aigle qui sauve Jean de l’Ours. J’imite la princesse et l’ours amoureux, je suis ridicule : ils adorent. La seconde histoire est moins burlesque, plus réelle et certainement plus triste. Je leur raconte l’histoire de mon arrière grand-mère Renée Le née, qui pendant la seconde guerre mondiale a décidé de traverser la France en guerre pour retrouver son mari fait prisonnier. Elle avait confié ses deux filles, Yvonnes et Claudine, à deux grands-mères, leurs voisines, tante Mie et tante Céline. Les autres femmes du village ne pouvant pas la retenir lui avaient confiée des lettres et petits cadeaux pour qu’elle retrouve également leurs propres maris. Son voyage a duré deux mois pour se terminer dans une ferme à Abbeville, où Antoine, mon arrière grand-père travaillait en tant que prisonnier de guerre. Leur bonheur ne dura cependant que 24h, il fut déporté en Pologne peu de temps après. Aujourd’hui le courage de cette femme qui a traversé seule la France en guerre m’inspire encore.

- Et madame, il a survécu ? 

- Oui, il est rentré de Pologne deux ans après mais là-bas son caractère a changé, il était devenu un homme triste.

- Et Renée, elle a retrouvé les autres hommes du village ? 

- Oui tous ! Sauf un.

- Et moi est-ce que je peux raconter l’histoire de ma grand-mère qui coupait la canne dans les champs de canne à sucre ? 

- Et moi mon grand père et le Tsunami ? 

Les idées fusent ! J’adore. Je leur explique que justement pour la séance de la rentrée la situation sera inversée : ils seront les conteurs d’histoires et je les écouterai. Par groupe de 5, chacun devra raconter une histoire qui les touche à ses camarade. En échange, je leur prépare une surprise : un vrai décor de cinéma, pour une vraie "soirée" (l’après-midi) filmée des conteurs ! 

Le mariage d'Antoine et Renée

Archive personnelle : Renée avait la triste réputation d'être prognathe et laide, lui avait 5 ans de moins qu'elle et était "beau"... Ce jour là les "vieilles pies" du village ont jasé mais Renée et Antoine s'aimèrent toute leur vie.

Antoine fut fait prisonnier

Archive personnelle : Renée, ne pouvant accepter l'idée d'avoir perdu son mari, part à sa recherche et traverse la France en guerre.

Carte d'ancien prisonnier

Archive personnelle : Antoine est revenu 2 ans avant la fin de la guerre, après avoir été déporté en Pologne.