image de la devanture de la salle de répétition, crédit Morgane Fourcault

AU PLATEAU

Publié par Antoine Raffalli

Journal du projet

Lundi 27 Juillet 2020. 10h. Nous y voilà. Devant la porte des Ateliers Médicis, prêt à profiter de notre semaine de résidence... Récit d'une semaine de recherche au plateau. 

Lundi 27 Juillet 2020. 10h. Nous y voilà. Devant la porte des Ateliers Médicis, prêt à profiter de notre semaine de résidence. 

En préambule, nous rencontrons une partie de l’équipe qui gère les lieux : du régisseur à l'accueil, en passant par la directrice et plusieurs personnes dédiées aux relations publics et dans les bureaux. 

Tout le monde est bienveillant et fait son possible pour nous mettre à l’aise en cette semaine estivale qui s’annonce caniculaire : ça tombe bien la salle de répétition possède une climatisation ! 

Par ailleurs, outre cet avantage utile, c’est une sorte de cube fort agréable, modulable, avec un beau gradin et un plateau spacieux. 

Après un café et cette découverte des lieux, nous nous mettons en action. 

Le but : essayer dès maintenant notre tentative de montage de l’adaptation au plateau, texte en main. Pour se donner des retours plus complets et pertinents sur notre proposition, nous échangeons nos places à tour de rôle. Tantôt je joue, tantôt c’est Morgane. Le but étant de pouvoir prendre du recul et voir ce qui fonctionne ou pas, en testant chacun.e de manière empirique le ressenti de la théâtralité au plateau.  

Nous découvrons également la possibilité de projeter via un vidéoprojecteur et un grand écran de 4 x 6 mètres environ, des images que nous avons filmées quelques temps auparavant. Des extraits de dialogue où nous apparaissons face caméra afin de faire vivre les scènes à plusieurs. 

En effet, dans l’histoire quatre personnages se confrontent dans un quatuor étrange : le fils, Bengt et sa fiancée Bérit,  son père Knut et sa nouvelle amie Gun. Or, au plateau, l’idée est de réunir seulement un acteur ou une actrice pour donner corps à la solitude mentale du personnage principal. 

Pour la scénographie, nous installons des pupitres transpercés de feuilles (les lettres que le héros s’écrit à lui même). Nous en avons quatre initialement, nous en aurons sept dès le lendemain (correspondant au nombre de lettres inscrites dans le roman). 

Cela donne une consistance à l’espace, lui confère un rapport mystérieux comme une forêt étrange de souvenirs. 

Dès le deuxième jour nous imaginons l’idée d’une déambulation des spectateurs au plateau, à leur entrée. Elle leur permet ainsi de pénétrer l’espace intime du personnage, rendant tangible et visible ce musée ou cimetière des souvenirs. Ils peuvent par exemple lire les lettres manuscrites accrochés aux pupitres.

Soudain, les idées  abondent : créer des sources sonores et visuelles comme dans une vraie exposition et qui seraient constituées d’extraits de films, de sons, en lien avec la tragédie du roman. Pour donner un cas concret : il y a dans le film de Luigi Comencini, L’incompris, sorti en 1966, la question centrale du deuil et de la résilience d’un jeune garçon face à la mort de sa mère. 

Ce film splendide et délicat fait partie de nos références communes pour notre adaptation. Le moment où le fils réécoute en boucle l’enregistrement de la voix maternelle dans ce même film est typiquement un exemple de ce que nous voudrions donner au public comme indice du spectacle et matière à partage. Il y a donc le partage d’une forme de corpus commun, de patchwork d’inspirations sur le même thème, auquel le public est convié. 

L’idée de condamner les sièges par un drap survient également. Le public ainsi “piégé” au plateau doit attendre d’entendre une première lettre (narrativement la dernière puisque nous inversons l’ordre du récit) avant de pouvoir s’asseoir. Cette lettre parle d’un suicide. C’est donc une lettre d’adieu. Comme une prise d’otage du spectateur qui ne peut se détourner de la force du message. Ce dernier donne la teneur de la suite du spectacle. Et amène la tension : que va-t-il se passer ou plutôt que s’est-il passé ? 

Au fur et à mesure de notre semaine, notre regard initial évolue : nous décidons de rajouter des passages narratifs du roman, car des trois formes proposées (épistolaire, dialogue et récit), c’est bien le roman qui l’emporte par son rythme, sa force d’évocation, sa dissection au scalpel des relations humaines. 

Nous décidons également de tourner de nouveaux courts-métrages plus dynamiques et réalistes pour donner à l’ensemble une vitalité qui se perd dans trop de formalisme et dans son éclatement (lettres au pupitre, récit au public, et vidéo de scènes dialoguées). 

Notre questionnement porte également sur la compréhension du spectateur devant ce montage chamboulé. N’est ce pas trop compliqué à comprendre ? Ne risque-t-on pas de perdre le public en voulant jouer avec l’ordre du récit ? 

Enfin au plateau, nous éprouvons la difficulté pratique de passer d’un code d’écriture à un autre, et du lien fragile qui relie ces formes entre elles. Ces doutes nous apparaissent légitimes, mais nous réussissons à les mettre en perspective : les courts-métrages ne sont que des prototypes, nous avons le texte en main, la régie est hasardeuse et faite au plateau par l’acteur/trice, ce qui amène des temps très long… Bref, une somme de détail, qui rassemblée, révèle notre difficulté à percevoir la justesse d’une proposition complexe comme la nôtre.