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La montagne est bleue

Publié par Laure Nillus

Journal du projet

Premières impressions en Savoie : les paysages.

Après un grand virage, les montagnes apparaissent soudainement. Le ciel bas et lourd est chargé de nuages qui avalent les sommets. En réalité, est-ce seulement la tête des montagnes qui est invisible ou sont-elles si grandes qu’une partie de leur corps aussi est enveloppée dans la colère du ciel? Derrière l’une d’entre elles, de petits nuages vaporeux circulent vers le haut. Ils me donnent l’impression que la montagne fume. Comme si elle était un volcan ; que de son ventre ardent s’échappait un souffle chaud, produisant de la fumée dans l’air glacé. Peu à peu, mes yeux s’accoutument à l’horizon blanchi, comme ils le feraient dans la pénombre. Je distingue alors d’autres montagnes. Lointaines, immenses, nombreuses. Recouvertes de neige, elles se confondent avec le ciel. Je quitte les grandes routes, emprunte l’avenue de Savoie puis la rue de la Savoyarde. Ces noms sont comme un rappel du territoire dans lequel je pénètre. La neige omniprésente est pour moi comme une promesse. Puis la nuit tombe brusquement, absorbe tout.

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Après une nuit à Saint-Hélène-du-Lac, au début de la vallée, je reprends la route jusqu’à Fréterive. Sur les panneaux, dans la direction où je roule, sont écrits Genève et Turin, perspectives d'autres ailleurs, tout contre ici. Ce chemin me semble être la continuité de la route d’hier ; le paysage est suspendu par le gel. L’Isère a les eaux vertes de froid. La faible lumière du petit jour effleure les décors, me laissant apercevoir une montagne bleue, comme posée sur l’eau.

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Les Bauges, qui surplombent Fréterive, m’intimident. Pour les regarder, il faut vraiment lever la tête, basculer la nuque tout en arrière. C’est parce qu’elles sont gigantesques, mais aussi parce que l’école est nichée tout à leurs pieds. Je sais que ma sensation n’est pas objective et qu’un effet de proximité m'influence, mais cette dent d’Arclusaz m’impressionne plus que la grande chaîne des Alpes déployée face au village.

Pendant que je suis ici, une amie m’envoie un extrait du Mont Analogue de René Daumal. Sur une page, j’y trouve des mots qui me semblent appropriés à mon désir d'arpenter les Bauges lorsque la neige aura fondue, mais également à mon envie que le chemin parcouru avec les enfants fasse sens du premier au dernier jour :

« Tiens l’oeil fixé sur la voie du sommet mais n’oublie pas de regarder à tes pieds. Le dernier pas dépend du premier. Ne te crois pas arrivé parce que tu vois la cime. Veille à tes pieds, assure ton pas prochain, mais que cela ne te distrait pas du but le plus haut. Le premier pas dépend du dernier . »

Le matin où je quitte les lieux, le paysage s'est inversé : la brume épaisse enveloppe le corps des montagnes et seuls les sommets enneigés sont perceptibles.