Sortie dans la forêt d'Ecouves, avec les CM1 - CM2

Le motif est un fragment de territoire

Publié par Nathalie Bekhouche

Journal du projet
Installation Sculpture performance, écriture et tissage

L'une des principales source d'informations du projet Le Motif dans le territoire est l'observation directe, "sur le terrain". Tenter de réancrer des gestes, des matières et des savoir-faire avec le territoire actuel, passe indéniablement par le fait de l'arpenter, le traverser, l'habiter, mais aussi de se saisir de ses denrées pour les transformer, les entremêler aux gestes, aux matières et aux savoir-faire.

Dans la forêt...

L'objectif de la séance en forêt, et de sa suite en classe, n'était pas de se concentrer exclusivement sur la manière dont nous pouvions représenter graphiquement la forêt, mais plutôt de réfléchir à la façon dont nous pouvions la suggérer. Un paysage ne se limite pas à une image, mais se déploie aussi à travers ses odeurs, sa matérialité. A l'intérieur de la forêt, j'ai invité les CM1 - CM2 à tenter de me représenter la forêt par sa fragrance. Chaque petit groupe de 2 à 5 élèves, à l'aide d'un bocal ou d'un tupperware, a ainsi fabriqué son "odeur" de forêt.

Aussi loin que je m'en souvienne la forêt s'est d'abord imprimée dans ma mémoire par ses odeurs humides, sa fraîcheur. Je me souviens du bois qui craque, du vent dans les feuilles, du chant des oiseaux... Je me souviens de la lumière verte, des espaces sombres sous la densité des arbres, et des percées jaune à travers les branches. Quelque part, je crois que par la sortie forêt, j'essayais de transmettre l'expérience que j'en avais eu, à leur âge, que ce soit chez mes grands-parents, ou en montagne. 

Puzzle représentant un paysage typiquement alpin

Parallèlement à ces expériences, j'avais entamé une nouvelle pièce à l'atelier : le puzzle. Je ne savais pas encore exactement ce que je voulais en faire, il s'agissait d'un vieux puzzle type "carte postale". Je l'avais trouvé dans le grenier de mes grands-parents, peu de temps avant que nous vidions définitivement la maison. Bien que ce puzzle provienne de l'Orne, l'image clichée qu'il représentait n'avait strictement rien à voir avec le territoire ornais. 

Et pourtant, s'il y a bien un concept qui incarne la notion de motif, dans tous les sens du terme, c'est bien celui de puzzle. Celui-ci était constitué d'un ciel bleu, d'une rivière, de prairies vertes et d'une forêt de sapins. Autant d'éléments qui, mis à part les uns des autres, pouvaient parfaitement symboliser l'Orne telle que je la percevais, telle que nous la percevions. 

J'avais prévu, pour la suite de la sortie forêt, de faire travailler les élèves sur de larges bandes de textiles afin de représenter sa végétation. En observant le puzzle, les bandelettes, les paysages d'après Hockney, et mon travail répétitif sur le motif textile, un mot me vint à l'esprit : fragment.

Atelier "teinture" suite à la sortie et la récolte en forêt

Comment se faisait-il que tout ce que je mettais en forme était composé de fragments ? Quel était le lien entre fragment, motif et symbole ?

J'avais invité les CM1 - CM2 à prélever des fragments olfactifs de forêt, mais, pour quoi faire exactement ? Produire d'autres fragments ? D'autres "sensations" ?

Inspirée à la fois par le travail sur le motif dans A year in Normandy, celui des feuilles et des épines microscopiques des pièces de mon puzzle, et le fait qu'un vocabulaire symbolique commençait à se mettre en place en classe, je mis les CM1 - CM2 au défit avec le projet "bandelettes". Ils devraient figurer la forêt, sans dessiner la forêt.

Je les initiai alors au pointillisme et à l'impressionnisme pour leur donner quelques pistes, et malgré la réticence de certains, tous se mirent à travailler sur leur grande bande de tissu. A partir des extraits de forêt, ils devaient produire de la teinture et expérimenter les différentes manières de colorer des textiles. Certains travaillèrent ensemble, d'autres de manière autonome. 

Réunies comme les pièces d'un seul et même puzzle, les bandes colorées, aussi abstraites soient-elles, formèrent une forêt. Le paysage fragmenté était composé de feuilles, de troncs, autant de motifs répétitifs qui incarnent l'idée même de forêt.

Je comprenais alors que le fragment de paysage forme ce que j'appelais le motif. Et ce motif, répété, forme à son tour un symbole. Il s'agissait alors pour moi de déterminer quel serait le fragment de paysage qui aurait suffisamment de force, de sens, pour devenir un symbole, le motif du territoire.

Et c'est en étudiant les oeuvres réalisées par les CM1 - CM2, en observant longuement les champs bordants la route qui reliait Gacé à Chailloué, et me remémorant une dernière fois A year in Normandy que quelque chose m'apparut.