"Nature morte" - recherche dans l'ancienne maison de mes grands-parents.

Nature morte // Mémoire vive

Publié par Nathalie Bekhouche

Journal du projet
Installation Sculpture performance, écriture et tissage

Dans l'Orne, Le motif dans le territoire m'a amenée à interroger pour la première fois la notion de "patrimoine". Au delà des concepts de transmission et de mémoire, les savoir-faire et les objets textiles font parfois partie de ce qu'on nomme le patrimoine. Le motif dans le territoire est finalement un projet qui tente d'une part, de réancrer des gestes, des matériaux et des formes avec leur environnement de fabrication, et d'autre part, de mettre en lumière la complexité des concepts de patrimoine et de conservation.

"Le patrimoine sensible"

Jusqu'ici, j'avais toujours adopté une certaine distance vis à vis des territoires sur lesquels j'avais pu travailler pour Le motif dans le territoire. Mais, commencer par faire une état des lieux de mes souvenirs afin de déterminer ce qui pourrait représenter ou non le territoire ornais m'a rapidement conduit à "chercher à prouver" que ce que je pensais être la réalité de l'Orne. 

Je me suis rapidement rendue compte que ma mémoire était en léger décalage avec cette réalité. Ce phénomène était accentué par le fait que la maison de mes grands-parents et tout ce qui se rapportait à leur environnement me donnait toujours l'impression d'être figée dans le passé. Et donc, je me sentais à la fois "chez moi" dans l'Orne, et comme une parfaite étrangère. Pour pallier à ce manque de représentation et tenter de dépasser mes "croyances", j'ai commencé à interroger les représentations "officielles" du territoire, son Histoire. Naturellement, je me suis dirigée vers Alençon, afin de visiter le Musée de la Dentelle.

 

"Nature morte" - Recherches
J'ai retrouvé de nombreux objets chez mes grands-parents avant que la maison ne soit vidée. Ces objets se trouvaient en décalage à la fois avec la réalité à laquelle je me confrontais (notamment à Chailloué), mais aussi avec l'Histoire racontée par les musées et les guides. C'est en prenant conscience de ces décalages que j'ai commencé à interroger la notion de patrimoine.

Le Musée produisit chez moi le même effet de "bon dans le temps" que la maison de mes grands-parents. J'avais longtemps entendu parler du fameux point d'Alençon, cependant, je n'arrivais pas à concevoir ce savoir-faire comme un élément représentatif du territoire et de la culture ornaise.

Le point d'Alençon est pourtant l'un des éléments majeurs du "patrimoine" de l'Orne, comme la cathédrale de Sées. Je n'avais jamais prêté attention ni à la notion de patrimoine, ni à celle de conservation. Mon travail concernait surtout le concept de transmission dans lequel j'y ai toujours vu quelque chose de "vivant", d'évolutif. Le patrimoine m'apparaissait comme quelque chose momifié. Je ne voyais pas comment je pouvais traiter à la fois ma mémoire, mes observations actuelles et ce fameux patrimoine sur un pied d'égalité, tant toutes ces choses me semblaient complètement déconnectées les unes des autres. 

Je pris conscience que l'enjeux du projet Le Motif dans le territoire n'était plus de réancrer des gestes et des matières avec l'environnement dans lequel elles se trouvent, mais plutôt d'interroger ce que l'on pourrait nommer "le patrimoine". Formellement le projet était le même, mais tenter de définir ce qui fabrique "le patrimoine" d'un territoire, c'est interroger à la fois sa représentation officielle et toutes les représentations que l'on peut en avoir. Le patrimoine n'est plus nécessairement ce que l'on conserve absolument, mais c'est aussi tout ce que l'on se transmet et que l'on fait vivre d'une autre manière.

"Nature morte // Mémoire vive" (10 variations), impression sur papier recoloré en pastel
Il s'agit d'un tissu très représentatif selon moi puisqu'il se trouvait chez mes grands-parents. Cette pièce interroge par le geste de recoloration et de reproduction la notion de mémoire. La pastel, non fixée, présente ainsi une image fragile qui peut disparaître au moindre contact, et appuie l'idée de l'instabilité de la mémoire. Ce projet tente également de réassocier textile, territoire et représentation traditionnelle puisqu'il s'agit d'un vieux tissu, aujourd'hui disparu.

Je ne me serais probablement pas posée toutes ces questions si je n'avais pas considéré que l'Orne c'était "chez moi". Je n'aurais probablement pas interrogé cette notion floue qu'est pour moi le patrimoine, si mon regard ne s'était pas heurté à sa représentation officielle, en décalage complet avec ma représentation intime. 

Après avoir eu de nombreux doutes sur la manière dont je pouvais hiérarchiser mes sources d'informations, j'ai compris qu'il m'était impossible de tout traiter, de tout aborder. J'ai alors imaginé ce que je pouvais déterminer comme le patrimoine selon moi, le patrimoine sensible.

Je suis repartie de la maison de mes grands-parents en me réinterrogeant sur ce qu'ils m'avaient transmis. Et associer la transmission au patrimoine me permettait de redonner vie à cette notion. Je devais repartir de ma mémoire, aussi instable et décalée soit-elle, pour réancrer mes productions avec ma perception "sensible" du territoire et, ainsi, aborder la grande question du patrimoine...