THÉÂTRE - SEUL-EN-SCÈNE
Etienne A., 31 ans, ex-libraire, termine son service de nuit à l’entrepôt Amazon, rentre chez lui dans sa Citroën ZX et, comme tous les jours, rêve de cartons à expédier. Son père a un problème à la hanche. Son ex-femme travaille chez Patàpain. Son fils joue à cache-cache sous la plateforme de la voie d’essai de l’aérotrain. Et en cette nuit de Noël, alors qu’ailleurs on termine la bûche et on ouvre ses cadeaux, Étienne A. s’offre, pour la première fois, l’occasion de rêver sa vie autrement : il entre dans un carton, s’y enferme et attend d’être expédié ailleurs.
Portrait poétique d’un homme ordinaire, Étienne A. donne parole à un invisible de nos sociétés qui, parmi les colis d'Amazon, cherche sa place.
NOTE D'INTENTION
18 kilomètres, c’est la distance moyenne journalière parcourue par un employé des entrepôts d’Amazon. 18 kilomètres, c’est aussi la longueur de la voie d’essai d’un projet avorté d’Aérotrain qui devait relier Orléans à Paris en 20 minutes. Voilà le point de départ, un lien invisible entre la success story d’une entreprise internationale et l’échec industriel dans une région qui voulait rapprocher sa population de la capitale.
Ce lien s’appelle Étienne A.
Il incarne singulièrement le désenchantement d’une époque, les promesses avortées et les rêves rendus vains ou impossibles. Il traîne dans ses chaussures de sécurité les espoirs et les ambitions des générations passées sans connaître ou même oser affirmer les siennes. En soi, il est sommé de suivre : suivre la voix des autres qui lui imposent une voie à suivre.
Il s’appelle Étienne A., mais il aurait pu s’appeler Anthony, comme le jeune héros ordinaire de Leurs enfants après eux de Nicolas MATHIEU ou encore Enée, fils de Roch, ouvrier malade de J’ai pris mon père sur mes épaules de Fabrice MELQUIOT. Étienne A., c’est un jeune homme de la France du Picon bière, déjà fané à trente ans, qui cherche du sens dans un monde qui se meurt. Il est aussi tous les employés sans nom croisés dans l’enquête édifiante En Amazonie de Jean-Baptiste MALET, un « Amazonien » déshumanisé, réduit à l’esclavage moderne, à l’ombre des entrepôts.
C’est pour cela qu'avec l'équipe artistique que j'ai constitué, nous voulons porter la voix d’Étienne A. sur un plateau, avec la poésie qui est la sienne, sa simplicité, son émotion, sa fragilité. Petit dans un monde qui le dépasse et va trop vite, seul parmi une foule de solitudes, acteur sans ressource de la globalisation, Étienne A. porte en lui une révolte sourde. À nous d’écouter, cette révolte, et de lui rendre la grâce et la dignité dont Étienne A. se sent privé.
Malgré sa singularité, nous sommes persuadés d’avoir en nous une part d’Étienne A..
Avec Création en cours, l'envie serait d'amener les élèves à devenir co-créateurs du projet, en faisant résonner dans la génération du fils d'Etienne A., les problématiques du personnage qui l'ont conduit à vivre ce destin si particulier et pourtant si ordinaire. Essayer ainsi de répondre avec eux, à l’heure de la fin de l'école élémentaire ou des premiers pas au collège, à une question qui revient souvent : "Qu'est-ce que tu voudrais faire quand tu seras grand ?" Les enfants sont parfois contraints de quitter, un moment, le monde de l'enfance pour répondre à cette injonction avec des mots d'adulte.
Pour y répondre nous souhaiterions tout au long des périodes de résidence, proposer un "fil rouge d'écriture" qui pourrait prendre la forme d'un journal de bord pour chaque élève. En gardant toujours comme ligne d'horizon dans nos différents jeux et exercices, cette citation d'Antoine de St Exupéry "fais de ta vie un rêve et d'un rêve une réalité", réel leitmotiv d'Etienne A. La finalité de ces recherches avec les élèves permettrait ensuite de porter avec eux sur scène dans une forme unique rêvée avec et pour eux., leurs mots en dialogue avec ceux d'Etienne A., comme un échange entre deux générations, celle du père et du fils.
Pistes de mise en scène
Etienne A., c'est un comédien, moi, pour quinze personnages. Une scène, douze espaces. Des cartons, une histoire.
Dans le flot d’une narration, vive et caustique, dans une urgence à raconter tout une dernière fois, ce seul-en-scène mettra l’accent sur le texte et son interprétation. Sans quitter le plateau et sans marquer d’interruption dans son récit, je prendrais en charge le rôle d’Étienne A. et ceux de tous les protagonistes dont son récit fait mention. D’un geste, d’une pose, d’un accessoire, d’un grain dans la voix, jaillira alors l’un ou l’autre personnage, qui s’adressera directement aux spectateurs. Car l’envie est d’immerger pleinement le public dans cette salle isolée de l’entrepôt. Le quatrième mur est brisé pour que l’histoire d’Étienne A. soit palpable par tous.
La mise en scène cherchera toujours à susciter la surprise, en alternant avec malice entre des moments d’un réalisme simple, presque documentaire, et des rêveries colorées, détonantes et poétiques, qui théâtraliseront l’ordinaire par des jeux d’ombres et de lumières ou des effets faits de bric et de broc, construits à la vue du spectateur à partir des éléments de décors.
Pistes scénographiques
Pour recréer ce local de l'entrepôt, influencés par les Métaphores d’Ettore Sottsass, nous chercherons avec Florian Pâque le metteur en scène, Marlène Berkane, la scénographe, Juliette Romens, la créatrice lumière, et Clément-Marie Mathieu, le créateur sonore, une esthétique où le rudimentaire devient extra ordinaire : ficelles, scotchs, films plastique et cartons d’emballage m'accompagneront dans mon récit, modifieront l’espace, lui donnant du relief ou de la profondeur. Les boîtes en carton seront aussi utilisées comme des pochettes surprises hors desquelles Étienne A. piochera des éléments de jeu.
Un quadrillage d’échafaudages, qui symbolisera le rayonnage de l’entrepôt, me permettra de prendre de la hauteur, comme sur l’Aérotrain de Saran où très souvent Etienne A. s’isole. Cet échafaudage définira facilement des cases où Étienne A. cherchera sa place, tâtonnant en déséquilibre, perdu parmi les cartons.
Impliquer le territoire
Dans la poursuite de la recherche que je mène depuis bientôt quatre années en tant qu'artiste, je souhaite continuer à rencontrer des publics parfois oubliés ou invisibles, hors des théâtres, éloignés de l'offre culturelle. C'est pour cela qu'Etienne A. a été pensé dans une forme légère techniquement, adaptable à de nombreux lieux, tout en restant exigeante. Une forme en lien direct avec un territoire, celui de départements marqués par des échecs industriels comme le projet de l'Aérotrain et dans lesquelles Amazon est implanté. Celui du Loiret, avec la ville de Saran et ses environs, en est l'exemple parfait.
En parallèle de Création en cours les autres résidences auront idéalement lieu dans les différentes villes traversées par l'Aérotrain dans le département du Loiret, ou hébergeant des Entrepôts Amazon (Lauwin-Planque dans le département du nord ou Boves dans le département de la Somme) d'où l'envie d'inscrire Création en cours dans l'un de ses différents départements.
Par ailleurs Création en cours propose une opportunité d'implication du territoire supplémentaire en lien direct avec ses habitants. en plus de l'enrichissement artistique de l'exploration avec les élèves, du lien entre la génération d'Etienne A. et celle de son fils.
Par le(s) artiste(s)