Alors qu’une partie de ma démarche de designer s’intéresse à un mode de vie contemporain de plus en plus nomade, je questionne de l’autre côté l’importance d’un ancrage territorial. Après un premier projet mené au pays-basque, cette seconde escale sera l’occasion de rebondir par une nouvelle immersion aux abords de l’atlantique. J’ai en effet pour ambition de développer une autre facette de ce que j’ai pu observer sur la côte, il s’agit de la dualité entre ce qui se passe sur terre et ce qui se déroule en mer, entre ce qui est construit pour vivre sur terre et ce qui est pensé pour partir au large. Les formes et systèmes destinés à l’architecture sont généralement fixes, tandis que les bateaux qui se destinent au voyage recèlent un répertoire de formes, de systèmes et d’astuces liées à ce qui est temporaire, amovible, en mouvement constant. Le projet de transmission visera à véhiuler auprès des enfants l’intérêt et la liberté qu’offre un système de construction organisé et réfléchi. Il s’agit de stimuler leur imagination, d’arriver à leur inculquer une capacité de projection mentale qui sert toujours de référent pour la réalisation d’un projet quelconque, du dessin jusqu’à l’objet, et qui pourra dans le futur leur servir dans d’autres domaines.
Je conçois les objets comme des interfaces entre l’individu et son environnement. Selon leurs typologies et leurs échelles, ils prennent soit le statut d’outils à l’aide lesquels on interagit avec le monde, soit le statut de dispositifs permettant d’architecturer un environnement de vie. Dans les deux cas, ils font figure de lien tangible entre le corps et le monde. Je veille alors à offrir aux personnes qui utiliseront ces formes une part importante d’appropriation, pour une organisation de la vie qui soit la plus libre possible.
L’appropriation des objets et des espaces est d’après moi nécessaire afin de se définir en tant qu’individu dans un monde partagé.
Elle est rendue possible lorsque les objets proposent à l’utilisateur une liberté d’usage, et/ou lorsqu’un objet exprime des signes de culture auxquels nous sommes rattachés ou sensibles, et/ou lorsque nous avons nous même participé à la création dudit objet.
Le projet que je vise à partager avec les élèves a pour ambition de réunir ces trois critères que sont la liberté d’usage, la reconnaissance culturelle/territoriale, ainsi que l’intervention de l’usager dans la construction de son espace de vie.
1- Une liberté d’usage, participer à l’émergence de l’objet.
Il est selon moi nécessaire que les objets s’adaptent à la vie et à l’usage de chacun.
Je veille ainsi à concevoir des propositions versatiles. Versatiles dans le sens où les solutions que j’imagine tentent d’apporter à l’utilisateur une liberté d’usage et d’organisation de l’espace de vie.
Certains de mes projets trouvent leur liberté à travers une réflexion autour du module. Réfléchir un système de rangement comme un jeu de construction plutôt que comme une étagère mène par exemple à un mobilier aux dimensions variables, dont l’expansion est régie par la quantité de pièces que l’on décide d’assembler entre elles. Ces recherches axées sur la construction modulaire conduisent à des objets et des espaces qui ne sont pas perçus comme des produits finis mais comme des systèmes ouverts aux formes et dimensions variables. à déconstruire et à reconstruire, pour remanier l’espace ou partir ailleurs, déménager, et ainsi vivre plus librement avec des objets ou mobiliers que je nomme «ouverts».
C’est assez intuitivement que j’en suis venu à m’intéresser au matériau textile. A l’image d’une construction modulaire, un tissage se définit par une organisation bien spécifique de différentes entités entre elles. Ces entités sont ici des fibres qui, sous formes de fils tissés les uns aux autres, participent à la construction d’un motif. La pricipale propriété d’un motif est qu’il peut se répéter à l’infini et dans différentes directions. Il propose ainsi une liberté du point de vue de sa forme qui n’est pas forcément circonscrite pais qui peut proliférer tel un rhizome, forme qui n’est pas dessinée mais qui émane de l’organisation structurelle de la matière elle-même.
En transposant ces systèmes constructifs issus du textile à d’autres échelles et en trois dimensions, il devient alors possible d’imaginer des objets dont les bords ne sont pas clairement définis tel une enveloppe, mais dont les différentes pièces qui le composent pourraient toujours être démultipliées ou réduites dans l’espace.
Plusieurs de mes projets précédents s’inscrivent dans cette réflexion sur la liberté d’usage par le module ou par un système issu du textile. Des projets comme l’étagère «Ruche», la paroi «Mirage», les lampes «Mold-native» ou la recherche «Scaffolding sticks» en illustrent les principes directeurs.
2- Une identification culturelle
Mon parcours de vie m’a habitué à voyager, à déménager, à changer d’habitat et d’environnement de vie régulièrement. Après ces expériences, il m’apparaît important que nous retrouvions dans notre environnement matériel des signes de culture. Ces signes, comme autant de symboles intrinsèques aux objets, nous permettent de nous sentir affiliés à un territoire, une région, un pays, à une ou plusieurs cultures, ils nous permettent de nous sentir chez nous. Il s’agit en soi de comprendre le monde dans lequel on évolue pour se l’approprier.
Les objets et espaces construits ont un langage, ils évoquent à travers un matériau leur origine, à travers leur forme, la façon dont ils ont été fabriqués, à travers leur scénario d’usage, une scène de vie ancrés dans des moeurs.
C’est à partir de ce postulat que J’initie en 2016 le projet Nomad Studio, qui prend la forme d’un bureau mobile aménagé dans un van. Ce contexte de travail me permet de définir un protocole de recherche et de création particulier, pensé pour réaliser des projets en immersion sur des territoires au sein desquels un ou des savoir-faire sont particulièrement rattachés. A la rencontre d’artisans, manufactures et autres collaborateurs, je développe au long de cette recherche des projets qui témoignent d’un fort ancrage territorial, tant au niveau des matériaux employés qu’au niveau des techniques et savoir-faire sollicités. Plus qu’un simple moyen de locomotion, le van devient une condition d’échange et de rencontre. Un lieu intermédiaire à l’intersection des différents acteurs du projet de design.
Au sein de cette démarche, il s’agit de donner son importance au temps d’observation et à la découverte du territoire, des personnes et compétences avec lesquelles je suis mené à travailler. Source d’inspirations, l’environnement est photographié, collecté sous forme de fragments qui constituent un répertoire de formes, de matériaux, de compositions. Extraits de leur contexte, ces «morceaux du monde» témoignent d’un regard, d’une première sélection des éléments vers lesquels se porte mon intérêt. Isolés, ils deviennent une matière première à (re)composer et à (ré)interpréter au sein du projet.
La seconde source d’influence est directement liée à la proximité des ateliers de production, d’un matériau, d’un processus de mise en forme, d’un détail technique ou d’un outil.
Après observation, il s’agit de questionner, de perturber et d’explorer des techniques et processus de mise en forme employés par mes collaborateurs.
Le projet ainsi pensé en aller-retour devient un prétexte pour explorer des terrains encore inconnus, tant pour le fabricant que pour le designer, au sein d’un échange et un apport mutuel.
Ce projet sera l’occasion de fédérer deux approches qui n’ont pas toujours cohabité au sein de mes projets précédents, à savoir la recherche sur l’espace habité et comment en proposer une liberté d’usage par la flexibilité, la construction libre et le mouvement, et une démarche d’ancrage territorial et de collaboration avec un/des savoir-faire spécifiques.
C’est en bretagne que la dichotomie entre des habitats en pierre, figures d’un ancrage au territoire particulier, et des navires bâtits pour le mouvement, pour partir m’a semblé la plus forte, lors d’un court séjour dans la région. Je vise d’y développer un projet de recherche qui puisse associer le travail des batisseurs d’habitats, notemment par le travail de la pierre, à des savoir faire traitant de matériaux beaucoup plus légers tels que la fabrication de voiles de bateaux ou de filets de pêche. Dans l’éventualité où cette résidence aurait lieu, je prendrais contact avec des entreprises et partenaires en amont du temps de résidence.
Dans le cadre de cette recherche, il sera primordial de faire dialoguer le processus de création du projet avec le territoire sur lequel je serais mené à intervenir, tant pour le projet de recherche et création que pour le projet de transmission.
Par le(s) artiste(s)