Test d'assemblage en ville

Comment va-t-on construire la ville ?

Publié par Lea Michel

Journal du projet
Arts plastiques Design Scénographie

Les enfants réfléchissent à la forme de la ville et à son fonctionnement. Cette étape m'apporte des idées sur la nature du projet.

Fin juin donc. Dernière semaine avant les vacances d’été. Il fait beau et chaud, le virus nous semble moins virulent. Il est temps d’assembler les maquettes en ville.

En amont, je fait des recherches et des essais de forme de ville. Mon binôme Pierre Martel me donne des idées pour faire vivre cette utopie pleinement. Plus jeune, il a animé des colonies de vacances et c’est naturel pour lui d’inventer et d’écrire des histoires, ce qui m’est bien utile. Au départ je pensais faire quelque chose de simple : assembler les maquettes des enfants sur un grand plateau noir pour valoriser les couleurs, puis les prendre en photos avec les commentaires audio des enfants. Mais Pierre a envie d’amener le projet plus loin ; avec le temps du confinement, ça a été propice à y réfléchir davantage. Il imagine un parallèle avec la légende de l’Atlantide, ce qui me fait penser à "Sa Majesté des mouches". La ville des enfants sera donc sur une île déserte, mais elle se passera bien mieux. L’île est un symbole très fort qui renforce l’idée d’utopie : on y est isolé du reste du monde, sur une terre inconnue, parfois sans loi. On peut donc y construire ce que l’on veut. Ce symbole se retrouve dans de nombreuses fictions. Il implique bien sûr l’isolement qui impose un mode de vie en autonomie totale, et un isolement du reste du monde. Ce qui est risqué, et donc attirant ou effrayant.

Lorsque les enfants arrivent, ils découvrent le terrain de l’île : une grande table constituée de différents niveaux, recouverte d’un fond noir en tissu. Devant cette table, j’ai installé des chaises en cercle où l’on s’assoit et je leur raconte l’histoire de leur arrivée sur cette île afin de les plonger dans la fiction.

« Cet été-là, vous décidez de partir en mer et vous dégotez un vieux bateau, dirigé par un vieux capitaine. Une fois en plein milieu de l’océan atlantique, vous êtes pris dans une tempête. Le capitaine disparait et vous échouez sur une île qui semble sortie des flots. Quelques jours auparavant, le capitaine vous avait raconté l’histoire de l’Atlantide, cette grande île légendaire située au milieu de l’océan atlantique, qui était au départ idéale. 

C’est le philosophe Grec Platon qui a imaginé cette histoire qui se serait passé près de 10.000 ans avant J.-C.. L’Atlantide est une île gigantesque que Poséidon, le dieux de la mer et des océans reçoit lorsque les dieux se partagent la terre. Ses enfants règnent sur l’île. Ils sont réputés pour être justes et sages, et la vie sur l’île est paisible, en harmonie avec la faune et la flore. La nature est généreuse, et offre à ses habitants tout ce dont ils ont besoin : des fruits, des animaux, des sources d’eau chaude et des couchers de soleil magnifiques. Les Atlantes construisent ensemble une citée idéale : Atlantis. Mais leurs descendants ne sont pas à la hauteur. Ils sont fiers et orgueilleux et ils commencent à s’attaquer aux autres peuples grecs. Pour les punir, Zeus, le dieu des dieux, fait disparaitre l’île sous les flots...

Certains d’entre vous pensent alors que cette petite île qui ne figure sur aucune carte, pourrait être un vestige de l’Atlantide. D’autant que la seule construction que vous trouvez semblerait dater de cette époque. C’est une sorte d’amphithéâtre circulaire avec deux rangées de gradins. Au début de l’Atlantide, [cette idée ne figure pas dans la légende connue] ses rois prennent leurs décisions ensemble. Pour se réunir, ils font construire une architecture de forme circulaire afin que la parole soit équitable entre chacun. »

Les enfants sont donc assis en cercle, comme dans l’amphithéâtre. Ils doivent décider ensemble de l’organisation de l’île. Avec Nathalie l’institutrice on les guide simplement. Durant les séances précédentes, je leur avais demandé de réfléchir aux fonctions de leurs cabanes. Ils mettent ces idées en application : comment fonctionnent-elles ensemble ? Qu’est ce qu’il manque pour vivre ? Comment s’entendre ? Pour cela, ils doivent faire des concessions parfois. Pierre avait eu l’idée de faire circuler un bâton de parole : celui qui l’a en main peut parler, pendant que les autres l’écoutent, ce qui fonctionne très bien.

Au milieu certains demandent : quand est-ce qu’on commence à fabriquer des choses ?. Mais pour cela il faut savoir ce que l’on fait et se mettre d’accord.

Cela se construit petit à petit. Ils ne veulent pas de chef et prendre les décisions ensemble. Il y a beaucoup d’idées de respect de la nature, des animaux et des autres. Ils choisissent l’échange et l’entraide pour mode de vie. Par exemple, Maxence fourni à tout le monde de l’électricité grâce à son moulin, en échange de nourriture ou de matériau. Il y a aussi la tortue de Noham qui leur sert de véhicule. Je leur propose aussi de se déplacer dans l’île par des tyroliennes et des échelles. Par la suite viennent aussi des idées divertissantes, comme celle d’aller fêter Halloween à la maison hantée de Aurlyne, puis de regarder des films d’horreur au théâtre-cinéma de Yanis.

Après ces débats, les enfants construisent des éléments qui seront communs à la ville : des échelles et des tyroliennes, deux phares, une bibliothèque, un terrain de sport, deux pontons et des bacs à compost. Ils veulent aussi faire des personnages et des animaux. Je préparerai ça pour la rentrée.

A partir de leurs idées et de celle de l’île je commence à imaginer la forme plus précise du terrain.

Pour moi l’étape des discussions est importante. Au-delà de travailler la forme et l’esthétique, je souhaite les amener à construire un univers imaginaire qui leur est propre ; reprenant des schémas de jeux que l’on pouvait avoir enfant, où l’on se projette dans des mondes idéaux, des utopies. Le point de départ de ces univers étant souvent l’abris, l’habitat, élément basique mais essentiel : quelles sont les formes de ces abris ? Comment les occupe-t-on ? Par la suite, la mise en commun leur permet de réfléchir ensemble et de comprendre la nécessité des concessions. Je prend conscience petit à petit de la dimension engagée, sociétale, écologique et presque politique dans ce projet. La lecture de Chez soi de Mona Cholet m’aide en ce sens. Mais aussi et surtout celle de Nos cabanes de Marielle Macé. Son quatrième de couverture résume assez bien le pourquoi des cabanes. 

« 47 % des vertébrés disparus en dix ans, faut qu’on se refasse une cabane, mais avec des idées au lieu de branches de saule, des images à la place de lièvres géants, des histoires à la place des choses. » Olivier Cadiot.

« Vite, des cabanes, en effet. Pas pour s’isoler, vivre de peu, ou tourner le dos à notre monde abîmé  ; mais pour braver ce monde, l’habiter autrement : l’élargir. »1

Dans une interview, Marielle Macé nous dit que « Le mot "cabane" définit ce qui se construit, dans toutes sortes de territoires, pour réinstaller de la vie, braver les précarités ». […] « Il ne s’agit pas de faire l’éloge d’un « vivre de peu », mais d’affirmer le désir d’une autre abondance - abondance non plus d’objets mais de liens, de savoirs, de connaissances, d’attachements entre nous et aux choses du monde. »2

On pourrait dire que les cabanes des enfants, ainsi que l’ensemble final, constituent une forme d’hétérotopie. D’après le principe formulé par Michel Foucault, les hétérotopies « sont des sortes de contre-emplacement, sortes utopie effectivement réalisées. »3

1  Marielle Macé, Nos Cabanes, Paris : Verdier, La petite jaune, 2019

2  Thibaut Sardier, « Marielle Macé: « Le mot "cabane" définit ce qui se construit, dans toutes sortes de territoires, pour réinstaller de la vie, braver les précarités » », Libération, 8 mars 2019, https://www.liberation.fr/debats/2019/03/08/marielle-mace-le-mot-cabane-definit-ce-qui-se-construit-dans-toutes-sortes-de-territoires-pour-reins_1713901 (consulté le 22 octobre 2020)

3  Michel Foucault, Des espaces autres, (Hétérotopies), conférence prononcée le 14 mars 1967, Paris

Comment va-t-on construire la ville ?

Installés en cercle, les enfants débattent du fonctionnement de la ville. Nous les guidons avec Nathalie. Le bâton de parole qui circule entre tout le monde permet aux enfants de s'écouter.

L'amphithéâtre, lieu des prises de décisions

Assemblage en ville

Test de disposition en ville. Le fond noir qui sera tout autour permettra d'unifier l'ensemble.

Fabrication des éléments de la ville

Suite aux discussions, les enfants fabriquent les éléments communs à la ville.