Anticipatoire : ce qu'on a devant soi

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

C'est l'étymologie grecque du mot problème. 

Pendant mes études, j'avais créé une vidéo faite de la captation de moments transitoires d'attente.

Champ de vision d'un auto-stoppeur embusqué; aperçu d'un cuisinier face au ragoût qui mijote, d'une cour d'immeuble plongée dans le calme et quasiment dans la torpeur de murs lourds et immobiles, etc.

Je voulais montrer et voir le temps indéboulonnable que je ne peux pas accélérer. Ce temps que le roulis d'une rivière permet de mesurer beaucoup plus joliment qu'un métronome.

Délégations s'appelait la vidéo. Je voulais observer ce qu'on a toujours devant soi, qu'on observe... presque jamais ? Ce qu'on a devant soi est une des étymologies du mot problème.

Ils sont par étymologie ce qu'on a devant soi: les problèmes. Ils seraient l'occasion de s'intéresser à ce qui est maintenant. Car dans l'idée d'une chose à venir devant nous, encore intangible (autrement que par les yeux, l'idée, l'anticipation) ils finissent fréquemment par nous échapper. On a beau prévoir, anticiper, certains problèmes sont insolubles, temporairement ou à jamais. Après une marque d'attention à l'égard de ce qui va advenir, l'amour de ce qui est là est donc nécessaire. La nécessité d'un court-circuit de l'anticipatoire se fait sentir : les problèmes nous apprennent à voir en nous, ni derrière, ni devant, peut-être dans le lieu imaginaire du dessous d'hier et de demain qui est le fugace moment d'ici-là. Alors, l'aspect prosaïque et figé du problème peut tomber et ouvrir une percée sensible, belle ou laide, émouvante souvent. Le problème est la promesse proto-méditative d'une contemplation, d'une introspection apaisée. 

C'est drôle qu'on dise qu'un problème sans issue est insoluble: si les problèmes sont donc solides, le liquide serait-il LA solution ? 

Cher journal de résidence, je me recueille avec toi. Parce qu'à mi-parcours surgissent ces temps que je ne peux pas accélérer; j'attends, et je pressens les murs qui s'élèvent comme des remparts, obstacles à la croisée des chemins et des possibles que j'aime tant. C'est ici que je consigne quelques problèmes que ma recherche a cristallisé.

Ce que j'ai devant moi à l'heure actuelle, c'est un certain nombre de questions :

Est-il nécessaire de s'intéresser aux relations qu'entretiennent les habitants à leur territoire ? Pourquoi ?

Pourquoi la parole est-elle une substance qu'il faut entretenir en l'étudiant et en lui donnant une place à vivre ?

Comment édifier ces paroles, cette recherche, à travers une proposition artistique ?

En quoi habiter demande de laisser une place à la parole de l'habitant ?

Pourquoi faudrait-il produire une restitution pour qu'un travail artistique ait un écho ? Si oui, laquelle ?

à qui est-ce que je m'adresse en tant qu'artiste ?

Qu'est-ce que serait une oeuvre sonore pertinente pour rendre compte des enjeux apparus avec ma recherche ?

Quels arbitrages décider dans la masse des possibilités de rencontres et de relations qui s'offre à moi pour donner lieu et résonance à ces questions ?