Champ derrière la maison de Pauline, Varigney, Haute-Saône

Une chapellerie magnétique

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

L'histoire d'une maison à côté d'une autre

Je m’appelle Louis Moreau-Avila, je suis artiste en résidence dans la commune de Frétigney et Velloreille en Haute-Saône. Recherche territorialisée, « Le sol et le soi » est le nom de la proposition artistique que je porte avec le soutien des Ateliers Médicis. Il s’agit d’étudier, par l’entremise non-exclusive de la parole, du médium radiophonique et du design graphique, comment les milieux et les territoires façonnent l’acte de dire, et inversement. 

« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage

Pascal et Ginette m'ont invité chez eux hier soir. Ça s'est fait spontanément. Ginette est venue me donner une rallonge électrique, je lui propose de s'arrêter prendre un café et elle me dit : ce sera plus simple si tu viens toi. En effet. Elle a trois enfants à gérer. Une bière, le dîner, puis la tisane que Pascal me sert, bien corsée; un goût de décoction très amer ! Est-ce un indice pour comprendre Pascal ?

Joie d'être là, en bonne compagnie. Ginette me met sur la piste de Jean-Marie Dumain, habitant d'Andelarre, un village proche. Il est connu pour ses cassettes autour d'histoires que contaient les anciens, compilées dans les échos du terroir. La soirée est agréable, je rencontre les enfants qu'élève Ginette, très sages, réservés sauf l'une d'elles, qui a grand besoin d'attention et me pose mille questions, avec sa bouche édentée par la petite souris. Elle m'assaille comme si elle allait cesser d'exister en arrêtant de parler, coquine et rigolote; elle est vraiment adorable. On échange aussi bien avec Pascal qui me parle de ses dons énergétiques qu'avec Ginette, très attentionnée et franche. Nous parlons de plein de choses différentes, ça fait du bien d'avoir le temps de vraiment discuter, depuis mercredi soir nous n'en avions pas eu l'occasion, toujours croisés entre deux portes.

Oreille refuge

Hier, j'ai aussi été à Vesoul rencontrer ce jeune homme très courageux qui fonde Saône radio, avec « son équipe ». Âgé de 24 ans, Vincent a une vision claire de l'identité de ce média, tout juste en train de naître. J'aime entendre ses intentions. Il me les raconte avec malice, sans discontinuer, rebondissant sur chaque atout qu'il a en main pour mener à bien son idée, avec un côté un peu mécanique. Je suis étonné de son parcours: il s'est formé par le bénévolat à la radio et anime aujourd'hui des émissions pour RCV et Radio Côte-Varoise. À côté de cette passion, il est comptable dans l'agglomération vésulienne. Originaire de Gray (en tout cas des Monts de Gy) il entend construire une radio à la croisée des pratiques commerciales et associatives. Il veut ancrer son contenu dans des informations d'utilité locale, tout en diffusant des musiques qui parlent au plus grand nombre. L'ARCOM doit lui confirmer prochainement si elle lui accorde une station en DAB+ (alternative aux fréquences FM) requête qu'il a dépose avec l'association dont il est le président. Il me confie être un ancien timide, libéré du regard des autres par la radio. L'oreille serait-elle un refuge, un endroit où l'on ne juge pas ? Audacieux, Vincent m'a proposé d'intervenir dans le cadre de ma résidence, pour donner un cours sur l'histoire de la radio en France à mes élèves de CM1-CM2 !

Illumination

Il faisait grand beau jeudi. J'étais déjà enthousiaste. Croyant voir là un temps typique et durable, la météo des prochaines semaines m'a ramené à une réalité moins heureuse. Qu'importe, j'en ai profité pour faire le tour de l'étang de Presles où pêchaient deux bonhommes. J'ai découvert le lavoir, où était apposée une plaque financée par les réfecteurs des lieux, l'association Les Arcadiens (présidée par un certain Michel Rivet, que je vais m'empresser de contacter). Puis j'ai suivi une balise en forme de cercle jaune sans savoir ce qu'elle désignait. J'ai rejoins la forêt de Recologne-lès-Rioz. Ça a été un moment d'illumination si on en croît la fameuse chaîne selon laquelle se déroule le processus créatif, pour les théorisateurs aujourd'hui en vogue dans le champ startupiste. Après avoir longtemps digéré beaucoup d'idées et de perspectives possibles, des petites révélations, grâce à la marche, se sont faites sentir en moi. Je me suis donc arrêté souvent pour noter.  

Je profite de la maison où je suis bien, dérangé par presque rien. L'arrivée ici m'a fait redouter la solitude, mais je me rends bien compte que je suis doué pour mouvoir et aimer les quotidiens que j'assemble moi-même. Je ne me sens plus loin des personnes qui faisaient ma vie à Strasbourg; je sais que cette étape est temporaire. Alors j'essaie de ne pas me mettre la pression, malgré la beauté du défi que m'offre cette résidence: me confronter à un lieu au risque de m'y diluer, m'y perdre, pour en apprendre les rouages, et en retour l'informer de quelques gestes qui m'animent.

Une maison, isolée dans un champ, Varigney
Une maison, isolée dans un champ, Varigney, commune de Dampierre-lès-Conflans, Haute-Saône