Le lavoir de Frétigney-et-Velloreille, restauré par l'association Les Arcadiens

Solitude n'est pas affaire de gens

Publié par Louis Moreau-Ávila

Journal du projet

Toujours seuls ?

Je m’appelle Louis Moreau-Avila, je suis artiste en résidence dans la commune de Frétigney et Velloreille en Haute-Saône. Recherche territorialisée, « Le sol et le soi » est le nom de la proposition artistique que je porte avec le soutien des Ateliers Médicis. Il s’agit d’étudier, par l’entremise non-exclusive de la parole, du médium radiophonique et du design graphique, comment les milieux et les territoires façonnent l’acte de dire, et inversement. 

« Ce lieu, discrètement, devient un lien (…). » Alain Roger, Court traité du paysage

Je m’étonne de ne pas ressentir la solitude de cette maisonnette isolée.

On me fait remarquer que je suis courageux : 15 jours dans ces lieux que je ne connais pas.

Je m’étonne de ressentir davantage de solitude dans mon petit studio strasbourgeois, qu’ici, au coeur d’une région que je ne connais pas.

La solitude n’est elle donc pas affaire de gens ?

C’est ma psy qui me dit que « de toute façon, on est toujours tous seuls. C’est je ne sais plus quel philosophe qui le dit. Ce qui diffère c’est le sentiment d’être entouré, mais factuellement, on est seul. »

Je ne sais pas pourquoi cette maison m’est familière. Je ne la perçois pas comme un lieu hostile.

Combien de temps ai-je passé seul à fureter dans la maison de mes parents ? Combien de fois y ai-je croisé l’un ou l'autre, affairé à telle tâche, jardinage, peinture, rangement, lecture, cuisine, tâches ménagères, plongé dedans comme un enfant dans un livre d’images ? Combien ai-je aimé être ensemble, dans ce grand tout (d’une maison très bourgeoise et faste que mes parents habitaient alors) qui laisse de l’espace pour cohabiter sans se marcher dessus ? Ce sentiment que la maison est une unité, une enveloppe générale, et que les individus qui l’habitent ne sont que ses vaisseaux sanguins, vecteurs qui la traversent, l’animent de temps à autre, qui la font vivre. Sentiment de symbiose: la maison est individu et les individus maison.

Je retrouve ce sentiment ici, à Frétigney et Velloreille, chez Ginette et Pascal. Hybridation entre la maison de mes grands-parents dans un village proche d’Angoulême et de celle de mon enfance en banlieue parisienne. C’est donc le sentiment de familiarité ou plus largement, de connaissance, puisque familiarité rapporte uniquement à l’idée de famille, et que cette idée n’a pas le monopole de la protection, qui nous protège du sentiment d’être seul. Ce sentiment s’acquiert en allant voir le monde. Quand on sait qu’on y a une place, on sait mieux l’apprécier, la risquer ! Encore faut-il l’avoir cette place, pour la sentir, cette sensation.

Peut-on prétendre à un monde plus hospitalier sans éprouver et savoir cuisiner ces fameuses conditions de connaissance, ces conditions qui épargnent la solitude ? 

Champ à l'orée de la forêt de Recologne-lès-Rioz
Champ à l'orée de la forêt de Recologne-lès-Rioz