De quoi ai-je peur ? De quoi as-tu peur ? Que ces peurs ont-elles en commun ? Comment pouvons-nous, ensemble, en parler, les explorer, et peut-être même les défaire ? Ces questions sont au centre d'un projet de livre graphique destiné à la jeunesse - « Le virus électoral et autres histoires à faire peur » - que j'aimerais écrire et illustrer pendant cette résidence. Ces mêmes questionnements, je souhaite les partager avec les enfants, à travers la création d'un livre collectif consacré à leurs peurs, qui leur permettra de découvrir par eux-même la création d'un livre, de l'écriture à la reliure de l'objet fini, en passant par la mise en page et les rendez-vous chez l'imprimeur.
De tous les livres que j’ai lus enfant, il y en a dont je me souviens d’une manière particulière : ceux qui me faisaient peur. Je ne saurais pas dire si je les appréciais. Je les relisais rarement, mais même sans les avoir lu plus d’une fois, je les garde toujours en mémoire. Un album peuplé d’affreuses fées vivant au fond des jardins, et attirant les enfants dans les mares. De terribles contes bretons, peuplés par des apparitions du Malin, des illusions séduisantes mais trompeuses, des chats qui étouffent des enfants dans leurs berceaux et l’océan tout puissant qui noie les marins. Les chutes glaçantes des nouvelles de Roald Dahl. Les terrifiants « autres-parents » de Coraline dans sa nouvelle maison... De même, je me souviens toujours très bien de mes cauchemars enfantins. Devenue adulte, mes peurs ont bien évolué. Rivée à mon écran d’ordinateur, je les vois défiler : élections obsédantes aux candidats fantoches, catastrophes écologiques, noyades collectives en Méditerranée, air, nourriture, mode de vie contaminé par on-ne-sait-quoi, guerres lointaines et high-tech... : les adultes contemporains ont bien de quoi cauchemarder.
La rencontre entre le souvenir des peurs anciennes et la brûlante actualité des nouvelles m’a donné envie d’écrire des contes à faire peur à destination des enfants et adolescents contemporains, situées dans un univers qui ressemble au leur, mais avec un twist, un premier pas dans l’inquiétant ou dans l’étrange, et qui pourrait bien déraper plus encore. J’ai envie d'y mettre en scène des personnages d’enfants étonnants et courageux, qui se posent des tas de questions et qui ressemblent à ceux que j’ai pu rencontrer dans les écoles primaires, en travaillant en tant qu’animatrice. Car créer des histoires qui font peur, c'est aussi devoir imaginer les solutions pour dénouer l'intrigue. Les protagonistes vont forcément chercher à s'échapper, à résoudre leurs problèmes, par le courage, l'ingéniosité, l'innocence, la persévérance ou encore la chance... Ces qualités ne suffiront pas forcément toujours, et je me réserve le droit que les histoires finissent mal, mais je pense que les héros doivent être assez attachants pour qu'on ait envie de les suivre.
J’imagine donc un recueil de 3 à 6 histoires courtes à la forme hybride. Ni texte illustré ni bande dessinée classique, j'aimerais trouver une manière de raconter mêlant librement textes et images, et s'adaptant au mieux aux besoin de chaque récit. Les premières recherches graphiques me poussent vers le fusain, une technique qui permet à la fois de dessiner au trait, de façon très spontanée, et de mettre en place une matière riche, vibrante, pleine d’ombres, à l’ambiance ambivalente. Cependant cette résidence sera aussi une bonne occasion de pousser plus loin l'expérimentation, vers des directions que je ne connais pas encore.
Comme presque tous mes projets, l'écriture de ce livre explore mes inquiétudes et mes interrogations personnelles. Certaines ne sont pas particulièrement marquées dans notre époque, et des générations de jeunes humains et humaines doivent les avoir éprouvées : la peur de grandir, d'être abandonné, les transformation du corps... Pour autant, ces inquiétudes, lorsqu'elles prennent forme dans notre société aujourd'hui, se teintent de couleurs, de formes et d'influences particulières. En effet, les peurs partagées
par un grand nombre d'individus me paraissent aussi être le reflet des problèmes traversés par leur société à un instant T. Comment donc les récits initiatiques aux racines immémoriales ou les contes à faire peur transmis de génération en génération sont-ils transformés par l'existence d'internet, les risques technologiques ou les changements climatiques ? Ces questions me passionnent, et je suis convaincue que la fiction a un rôle social à jouer dans la construction d'un nouvel imaginaire du futur, et dans l'élaboration de réponses collectives aux problèmes contemporains. C'est aussi pour cela que je souhaite, parallèlement à l'écriture, donner au projet une dimension collective, en partageant mes questionnements et ma méthode de travail avec un groupe d'enfants.
Par le(s) artiste(s)
Par les participants