Les premiers tests au fusain des enfants.

"Mon personnage s'appelle Couitille. C'est une personne méchante, elle va tuer tout le monde."

Publié par Ariane Hugues

Journal du projet

Mi-février, je suis allée passer ma première semaine à l'école d'Eyjeaux, découvrir l'école, rencontrer la maîtresse qui est aussi la directrice, et commencer à travailler avec les enfants.

La première séance, nous avons parlé des histoires qui font peur. Après quelques rares protestations ("Mais c'est obligé que ça fasse peur ?"), tout le monde a commencé un joyeux inventaire d'histoires, de personnages, de lieux et de choses effrayantes. Après un bon moment à énumérer des scénarios de films d'horreur, des chapelets de clown tueurs et autres Momo challenge, j'ai essayé d'orienter les réponses vers des peurs plus réelles, et si possible plus personnelles. Je me demandais, qu'est-ce qui dans leur vie à eux, d'enfants grandissants à la campagne, fait peur ? Ce n'est sûrement pas si facile d'exprimer devant toute sa classe ses plus grandes peurs, parce que, à l'oral, ça n'a pas donné grand chose, à part un grand nombre d'araignées, et de bruits bizarres dans la maison. J'ai donc essayé de leur faire écrire, en me disant que le secret des petits papiers leur permettrai peut-être de se libérer un peu. Des embryons de choses un peu différentes apparaissent, mais je crois comprendre que c'est plus simple et rigolo d'en passer par le folklore, les gros monstres et les tueurs en série que d'examiner ses peurs intimes.

Le deuxième jour, on dédouble la classe (d'abord les CE2, ensuite les CM1). On débute par une petite série d' "échauffements" à l'oral, à base de jeux d'associations d'idées, pour essayer de les faire rebondir sur les idées des autres, et de leur faire développer un univers tous ensemble. Ensuite, on s'attaque au tout début de notre travail de livre. Pour cette séance, je leur propose de s'inventer un personnage, souffrant d'une peur, et d'imaginer la situation initiale d'une histoire. Pour le premier groupe, j'annonce juste la consigne à l'oral, et je leur propose de travailler sur des feuilles blanches, en prenant des notes de leur idées et en faisant de petits dessins s'ils veulent. Très vite, je m'aperçois que pour beaucoup, feuille blanche semble signifier "dessin", et que prendre des notes, "chercher" à l'écrit n'a pas l'air d'être une habitude pour eux. Je rectifie le tir avec le deuxième groupe en leur préparant une fiche photocopiée à remplir pour les guider. Du coup, ils écrivent tous mais n'en passent pas du tout par le dessin. Je me demande comment les guider pour avancer efficacement sur le projet, mais sans forcément les placer dans un fonctionnement scolaire d'exercices à remplir. Peut-être que j'aurais dû leur montrer des exemples de brouillons d'artistes, différentes manières dont on peut dessiner et écrire et réfléchir à la fois ? J'apprends aussi à alterner les exercices, l'oral et l'écrit, car certains enfants sont assez agités, se lassent vite et ont du mal à se concentrer longtemps en autonomie. Mais c'est une chouette matinée de bonnes idées commencent à sortir.

Le troisième jour, les CE2 finissent de choisir leur personnage et leur situation, et puis on se lance dans le dessin. J'ai envie de les faire travailler au fusain, la technique que je préfère en ce moment et avec laquelle je vais faire mon projet. Je leur propose d'abord de travailler de manière abstraite, pour explorer les possibilités de traits, de matières, de textures, de flou et de net, de dessin et d'effacement qui sont possibles avec ce médium. Pour ça je leur lance une série de "consignes", d'indices pour essayer de créer une atmosphère à retranscrire graphiquement. Par exemple : "imaginez un trait frissonnant", puis "un trait grinçant", puis une tempête de traits, une tornade, puis un trait liquide, un trait flottant, être dans le brouillard, se faire emporter par le vent... Pour finir la séance, tou.te.s devaient ensuite représenter le personnage de leur histoire en train de frissonner de peur, et en essayant de réutiliser des façons de dessiner découvertes juste avant.

Avec les CM1, la séance est plus courte et on n'a pas le temps de commencer le fusain. Je passe la séance à faire le tour des tables pour lire avec eux ce qu'ils ou elles ont écrit, et essayer de les rediriger s'ils ou elles ont du mal à aller au bout de leurs idées. Après coup, je me rends compte que c'est assez directif comme façon de procéder : je fais le tour, je "valide" ou non leurs idées, je tire les vers du nez à certains enfants pour les aider à aller plus loin... Je me pose des questions : est-il possible les laisser être autonomes et raconter ce qui les intéresse sans que je les influence trop et sans que cela parte trop dans tous les sens ? Je vais réfléchir à une façon de les faire s'aider et d'écouter les uns les autres, pour ne pas être leur seule référente "c'est bien ou c'est pas bien". Pourquoi ne pas les mettre en duo ou en petits groupes pour les faire se raconter leurs débuts d'histoires dans les séances qui viennent ?

L'après-midi, je relis leurs notes au calme. Je me rends compte que dans les CM1, beaucoup se copient ou s'influencent très fortement entre copin.es et de façon très genrée (bizarrement, le groupe des CE2 ne m'a pas semblé souffrir de ce problème). Sur la "table des filles", on retrouvent une série d'héroïnes "de 9 ans", habitant "à Paris", aimant "la danse et les animaux", dont le caractère est "naturelle" et/ou "timide" (est-ce moi ou on sent bien l'influence des magazines féminins pour petites filles ?). Beaucoup ont peur des araignées ou des poupées qui tuent. Côté garçons, on trouvent des "sérial killers" et "braqueurs de banque" qui ont peur "de se faire chopper par les flics". Deux s'appellent "Jack" ou "Jaque". La maîtresse, Lydie, m'avait justement dit que dans le cadre du baptême de l'école d'Eyjeaux, maintenant appelée école Simone Veil, elle comptait essayer de les sensibiliser davantage à l'égalité filles-garçons, et que ce projet de livre pouvait être l'occasion de les pousser à créer des personnages hors des stéréotypes de genre... c'est pas gagné pour le moment ! Je me dis que je vais essayer de les pousser à se mélanger plus. Juste avant la sonnerie de départ en vacances, je vais faire un petit bilan de ces trois jours dans la classe, et je leur glisse d'ouvrir leurs yeux et leurs oreilles pendant les congés, de prêter attention aux personnages et à leur diversité pour pouvoir s'en inspirer. On verra si ça donne quelque chose. 

Pendant ces trois jours, je me suis beaucoup focalisée sur les interventions, j'ai relu, préparé, réfléchi, j'ai plein d'idée pour les enfants, et je n'ai pas vraiment réussi à me consacrer à mon projet à moi. Je vais essayer de mieux équilibrer la prochaine fois. Rendez-vous en mars !

Les expérimentations des CE2.
Les personnages frissonnants des CE2.