Musée des Beaux arts de Nîmes

Fin des ateliers, bilan

Publié par Joseph Fabro

Journal du projet

Mon parcours avec Création en cours touche à sa fin.

Mon abécédaire sur la présence du texte dans les musées dans le Gard est terminé, de A à Z. Il cherchera sa place dans les dits musées quand la situation sera plus souriante. En attendant, je vous propose de découvrir les trois première lettres ci dessous.

Concernant les intervention à l’école Albert Camus de Roquemaure, elle prennent fin pour moi, mais je laisse à l’école un kit pédagogique imaginé pendant le confinement.

Ce kit, nommé “Un musée à la maison”, est constitué de 4 supports texte-image, créés et réalisés avec pour objectif de mener un projet artistique en autonomie avec ce qui est à disposition à domicile.


 

Abécédaire

A

Avant d’entrer il serait de bon ton de savoir comment nous sommes arrivés ici. Pourquoi ce Musée, quand tant de vieux bâtiments de pierres sombres concurrencent de si nombreuses architectures modernes pour nous inviter à découvrir leurs collections, la somme étonnante de leurs savoirs, les trésors qu’ils ont accumulés. Vous me demandez si nous sommes venus par hasard ー Vous me prenez peut-être pour un guide. Je n’ai pas de réponse, pas encore, cependant je peux vous proposer quelques pistes (du genre que l’on sème en miettes de pains, ou en cailloux blancs, en fil si vous pensez que ce Musée est aussi un labyrinthe)

Il y a l’Arbitraire, il y a la Kabbale et il y a Pierre Ménard. Disons, en quantité presque égale et pas nécessairement dans cet ordre. Je pourrais dire aussi qu’il y a du texte, un certain volume de matière texte, comme on pourrait en trouver n'importe où, ou presque. Des mots partout, même quand, la nuit, il n’y a plus de lecteurs; On se demande s'ils peuvent être lus malgré tout. Déchiffrés par l’absence, traduit par la solitude. Ces textes nombreux sont aussi abandonnés.

 

Je parle d’Arbitraire concernant mes choix ; Pourquoi agir ici plutôt qu’ailleurs ? Ici étant le Sud de la France, plus exactement le Gard, mais aussi les Musées. Parce qu’il y a du texte dans le Sud. Parce qu’il y a des mots dans les Musées. C’est insuffisant, seul l’arbitraire peut vraiment expliquer ce choix, l’arbitraire du « c’est chez moi ». Nous voilà donc dans le Gard, pas loin de Nîmes où sévissait naguère Pierre Ménard l’écrivain, celui de Jorges Luis Borges. Déjà à l’ombre d’un texte qui ne parle que de ça, que de textes, de mots écrits, et recopiés.

 

Concernant le A nous aurions aussi pu trébucher sur l’Agora. C’est que le Musée est un lieu de rassemblement, une sorte de cercle d’amis ou plutôt de Club dans le sens britannique. Les événements mondains, summum de la conversation (étroitement intriqués dans l’idée d’un lieu idéal) sont les vernissages. Le texte dans le musée est lié aux vernissages, parce-qu'il participe à la Conversation. La grande Conversation qui sous tend toute la pratique artistique. Pas une question existentielle, pas un « qu’est ce qu’est l’art ». Simplement des gens dans des musées, qui parlent d’expositions, qui commentent, critiquent, se moquent, encensent, conspuent, racontent n'importe-quoi, oublient même de parler des œuvres, sont obnubilés par le pantalon en velours de l’artiste venu raconter sa démarche (comme on raconte une histoire aux enfants, ou un accident de voiture, tremblant devant la police).

Oui le texte des musées commence là, avec la parole qui jaillit, qui se multiplie. Si on ne discute pas les goûts et les couleurs, alors que faisons nous dans ces grandes pièces, un petit four à la main, ou une poignée de chips (parfois des cacahuètes), un verre de rouge à cubis dans l’autre ? Nous discutons exactement ça, les gouts et les couleurs, et les formes, les sons, les odeurs, les idées. Nous comparons d’incompatibles points de vues. Nous analysons sur un ton badin. Et même s’il s’agit de critiquer les piques-assiettes qui prennent à notre nez et notre barbe, la dernière part de pizza froide, nous disons quelque chose de l’exposition, nous racontons un point de vue sur l’art, ou au minimum sur le musée.

 

En dehors du vernissage, les visites commentées, ou la solitude des audioguides continue cette expérience, nous devons comparer nos points de vues, nous assurer, simplement, que nous voyons. Le musée reste cette Agora, cercle de discussion sans fin autour d’un sujet que personne n’arrive à définir (car si nous savions de quoi on parle la conversation s’éteindrait d'elle même).

Nous sommes venus guidés par le hasard, par l’arbitraire, par le texte aussi (un carton d’invitation, une affiche, déjà dehors les traces du musée). À l’ombre de sa façade nous déchiffrons le nom de l’institution, peut être celui d’une célébrité local (je dirais ici Pierre Ménard, ou bien un célèbre Matador, peut-être Claude Viallat), ou bien un nom générique, peut être même une surprise comme l’est le Conservatoire de la fourche à Sauve. Nous lisons et dans le même temps, un temps suspendu, nous passons la porte.


 

B

J’entre à peine qu’on me tire par la main. C’est pour me prévenir que nous ne serons pas tous présents pour la visite, l’un d’entre nous va attendre au café (de la place), une exposition de textes et plus encore une exposition de textes d’expositions, il trouve cela chiant. Il dit en réalité, pour ne pas me vexer, que c’est un peu Barbant (heureusement qu’il n’a pas dit rasoir, nous n’aurions pas eu de B). Mais impossible de savoir s’il parle de l’exposition ou de son (fameux) contenu intellectuel. Il faut dire que les deux se confondent, comme un assassin et son ombre, ils partagent la même silhouette. Nous devrions savoir ce qui nous pousse à venir ici, ce que nous y cherchons, alors l’aspect évidemment emmerdant de l’exposition disparaîtrait en un tour de magie (ou d’écrou). Mais qui sait ? Qui réellement a entrepris le travail colossal de comprendre ce que nous faisions ici ? Je gage que la question joue trop à touche touche avec la philosophie pour qu’une réponse puisse y être apportée.

 

Nous disons donc que l’exposition est, à priori, barbante et ce parce qu'elle concerne la présence du texte dans les expositions. Pire encore, c’est une exposition à « problématique », une sorte de mémoire universitaire mis en espace. Celle qui suit, presque immédiatement, la rédaction brillantissime d’une thèse gigantesque que personne (à peine son auteur) n’a vraiment lu et moins encore comprise. Une exposition qui se veut être un texte transposé dans l’espace (il est étrange que l’on imagine dans ces cas là de grosses lettres en volume ou des phrases sérigraphiées au sol, voir sur des panneaux de plexiglas, quand ce n’est pas en vinyl découpé au laser directement sur les murs. La manifestation d’un texte dans l’espace, n’a rien à voir avec la fabrication laborieuse de mots épais, de ceux qui projettent sur le sol une ombre, mais bien avec la nature même des actions humaines. Le Malade imaginaire tient infiniment plus de la mise en espace (je dirais ici mise au monde) du texte, quand il est joué sur les planches, que s’il est écrit sur le mur. Le texte, sorti de la page, ne devrait-il pas, par usage, par devoir, par principe, par nature, par facilité, prendre une forme qui lui soit étrangère ?). Cette parenthèse dit en fait beaucoup de ce qu’intérroge l’exposition, c’est vous dire si elle est saoulante. Nous somment à peine devant la porte et déjà l’hésitation, le doute : Devrons nous lire cette exposition ou la regarder, pour la comprendre ? Et pour comprendre quoi ? La compréhension à t-elle quelque chose à voir la dedans ? Peut-on comprendre Braque, Monet, Pissarro, Le Bernin, Van Gogh, Elina Brotherus, Sarah Sze, Tadeusz Kantor, ou ne le peut-on pas ? Faut-il comprendre, pour caresser l’espoir de les aimer : Jochen Gerz, Joseph Kosuth, Paul de Vree, Marcel Broodthaers, Alan Riddel, Allan Fletcher ? Sommes nous contraint à l’ajout de texte sur les choses ? Et de texte sur le texte ? La forme de l’exposition, sa fixité de cadavre, sa solennité de pape, son sérieux de ministre, ont-ils la nécessité absolu d’être Barbant ? Aussi Barbant qu’une bulle papale, qu’un discours de ministre à mi-mandat, que la conversation des morts ?

Faut-il comprendre pour aimer ? Oui sans doute mais pas que.


 

C - D

« Il y a Consommation… et il y a Délectation. Il y a musée et musée. Pour ma part, je trouve que les espaces rénovés, où sont aujourd’hui en quelque sorte crucifiées les œuvres, deviennent des espaces détruits par un excès de prétendue mise en valeur des œuvres. De plus, la part de didactisme qui envahit les murs autour des œuvres… ou, encore mieux, les casques d’écoute, qui font avancer de tableau en tableau des visiteurs aux yeux fermés, transforment la plupart des musées dits modernes en lieux où celui qui y pénètre doit abandonner tout espoir de découvertes intimes, originales et silencieuses ».

Serge Rezvani (Beaux-arts Magazine, septembre 2000)

 

En réalité la première phrase, par son usage de la ponctuation, nous annonce la teneur du discours. La Consommation et la Délectation, sans doute les deux mots les plus politiques que nous trouverons dans le Musée. Ils résument le problème du texte, ils annoncent sa faiblesse, pointent l’index analytique d’une manucure sombre vers la faille des mots (pas entre eux, mais bien en eux).

Ce qui devrait être, ce qui doit impérativement être de la délectation devient de la consommation. Pourtant aucune mauvaises intention dans cette transformation. Peut-être des oublis, le surgissement cétacéen d’égaux (qui n’en a pas, qui donc va par le monde sans essayer de prouver son existence, à part l’Idiot, celui de Dostoyevsky ou un vrai ahuri, qu’importe). Il faut, sans doute, craindre le glissement imperceptible qui fait des Trois Mousquetaires un sujet d’études dans une classe austère au lieu d’être ce film de cape et d’épée projeté dans l’ombre de nos têtes. On ne gâche pas un objet en l’entourant de texte dans le but manifeste de le réduire à notre merci (qui connait le nom des choses a pouvoir sur elles). Au contraire, c’est par excès d’attentions, par multiplications de mise en valeur qu’on étouffe l’objet, à trop vouloir le mettre en lumière on le rend aveuglant. Que les mots soient de même nature que la lumière… qu’ils soient d’une autre matière serait également surprenant.

 

Les textes de musées disent quelques-choses sur ce que l’on voit. Ils racontent des histoires mais ressemblent étrangement à des leçons. Ils ouvrent un nouvel horizon de connaissances mais bornent nos interprétations, limitent notre compréhension, parfois l'étouffent (voir la lettre H). Pourtant, ils sont, toujours, des histoires.

La délectation et la consommation n'ont pas cet écart fabuleux qu’on leur prête, ils se différencient parfois par le mouvement d’une gorge qui fait de la dégustation de vins une classique beuverie. Serge Rezvani (que voilà silencieux, assis entre nous, spectre entre les ombres du musée, son souffle se confond avec le bruit ténu des régulateurs d’humidité) se méfie du musée où le spectateur finirait par « fermer les yeux » sur les œuvres; il exprime une peur concrète, celle d’un texte écrasant, qui réellement, nous empêche de voir l’œuvre en la chargeant d’un contenu préexistant, énorme.

 

Je vois que depuis tout à l’heure une question reste en suspens, en écho à l'arrière de notre étude, elle fait penser à ces sentiers de campagnes qui, quittant la route, s'engouffrent dans l'obscurité d’un bois, ou le long d’une pente apparement trop abrupte, nous les croisons et ils restent là, dans l’angle aveugle de notre œil, nous craignons de les emprunter pourtant ils nous attirent, ils aimantent nos pas. Nous avons l'occasion de faire marche arrière, de recroiser le sentier pour demander enfin ce que signifie les mots de Serge Rezvani « Il y a musée et musée. »

On croirait une blague des Inconnus : Il y a le bon musée et le mauvais musée. Mais comment les différencier. Ben le mauvais musée, c’est un bâtiment dans lequel on expose des trucs et le bon musée c’est un bâtiment dans lequel on expose des trucs.

Ou : « Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d'études, d'éducation et de délectation. »

— Statuts de l'ICOM art.2 §.1

si ce genre de citations vous amuse. Mais la différence n’est pas dans ces définitions. La différence est littéraire, une littérarité qui se fait spatiale.

Nous disons livre et le musée ouvre ses pages. La page blanche du musée, couverte de texte, ou le palimpseste du parchemin, comme les pierres vieillies des monuments qui entremêlent la signature d’un enfant né de la dernière pluie et la griffe d’un tailleur de pierre antique. Les musées sont des architectures qu’il serait facile de confondre avec des grimoires ou des carnets de coloriage. La différence entre Musée et Musée. La même différence que l’on fait entre littérature et littérature. Entre deux qui ne sont qu’un mais demeurent différents.