Scénarios imaginaires à partir d'événements réels

Scénarios imaginaires à partir d'événements réels

Publié par Simon Riedler

Architecture Installation Sociologie Scénographie urbaine

Mai 2018 – Mai 2019

1 an et 9 réseaux en fil tissés dans divers tissus urbains de métropoles latino-américaines.

Les formes, les acteurs, les tensions et les couleurs de chaque tissu urbain et de chaque réseau en fil ont énormément varié.

Mexico : village originaire divisé

Bogota: centre-ville aisé

San José : centre-ville historique, aisé le jour et délaissé la nuit

Guatemala et Valparaiso : centre-ville historique, marginal aujourd’hui

Pereira : centre-ville populaire

Lima, Sao Paulo, Rio de Janeiro : périphérie stigmatisée

S’ils sont éparpillés à l’échelle d’une ville, d’un pays et d’un continent, les réseaux en fil sont rapprochés dans le temps.

Notre série d’interventions appelle aujourd’hui un temps de décantation.

Lors de notre résidence Création en cours nous menons de front une synthèse et une ouverture. Nous traduisons chaque expérimentation sur différents supports, vidéos, articles, maquette, panneau de synthèse. Nous ouvrons les expérimentations les unes aux autres, combinant leurs résultats suivant la méthode des scénarios imaginaires.

Comment atterir dans l’imaginaire ? Comment imaginer ?

Dans un rêve, nous associons des éléments perçus mais pas toujours vus de nos phases d’éveil.

Dans cette méthode, nous allons associer des événements réels des différents réseaux en fil.

Nous cherchons à voir ce qui nous a échappé, à souligner ce qui nous a marqué, à trouver ce qui nous a manqué…

A réaliser ce que nous avons rêvé.

Tout a commencé en Utopie, quand Madlen rêvait pour son diplôme d’architecte d’un passage parisien passant par des appartements, avant de réaliser qu’avec un simple fil, ce passage est possible. Flexible, léger, le fil s’immisce de balcon à balcon, de fenêtre en fenêtre.

Peut-être alors que ces scénarios imaginaires vont nous conduire à de nouvelles réalisations…

La forme qui s’est imposée est celle du photomontage, que nous imprimerons sur tissu et broderons avec du fil, colorerons au pastel...la légende complète.

 

Scénario imaginaire 1 : Rio ne fait plus qu’un

Rio ne fait plus qu’un

C’est la même ville : Rio de Janeiro

Deux mondes, tour et favela, sont à la même hauteur.

Une rangée sauvage les sépare.

Un fil les unit.

Un fil et trois acteurs :

A droite, entre citerne d’eau et antenne parabolique : Jhony le pêcheur de fil lance la ligne du haut de sa favela

A gauche, entre échelle et tour, l’électricien péruvien hisse un fil

En bas au centre, Chiquitita la magicienne chilienne unit les deux fils.

 

Au 22ème siècle, le fil est une liane touffue, passage végétal pour l’habitante du 51ème étage de la tour et l’habitante de la maison à porte rouge de la favela.

 

Scénario imaginaire 2 : De barrières en fil

De barrières en fil

 

Barrières et fil cohabitent. Elles obstruent le passage et referment leur trésor. Il passe, y glisse et s’y attache

A Mexico le grillage enserre l’église et son patio.

A la ville de Guatemala des voisins souhaitent un grillage plus haut délimitant le parc et leur contre-allée.

A Lima les voisins sont divisés face au festival qui a lieu dans la rue.

A San José le propriétaire du restaurant-galerie se met en colère et exige l’enlèvement des fils tressés sur sa grille par un groupe d’adultes en situation de handicap.

A San José l’artiste Roberto Lizano joue avec le passage en créant un rideau de fil au milieu de la rue

Mises bout à bout les barrières se transforment en une porte de fil allègrement traversée par la danseuse. Thea Bautista franchit un rideau de fil qu’elle a elle-même installé

 

Dans moins d’une vie, les barrières de fer seront toutes fondues en un sol que nous pourrons fouler. A la façon de celui de l’anti-monument Fragmentos à Bogota où l’artiste Doris Salcedo a scellé l’accord de paix avec les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) en fondant leurs armes en des dalles ensuite martelées par les femmes victimes de violences sexuelles pendant la guerilla. Un réseau en fil dédié au dialogue de paix y aura lieu. 

A la place des barrières de fer pousseront des tissus de fil, le dedans et dehors seront poreux l’un à l’autre.

Scénario imaginaire 3 : Hommage

Hommage

Bogota : la première nuit notre sculpture « l’oiseau qui sort de sa cage » est vandalisée-volée. Au matin nous trouvons cette désolation où le métal manque et les plastiques et le fil sont abandonnés au sol.

Guatemala : L’homme s’appelle Carlos Alfredo de Leon Cifuentes, il est poète et déclama de nombreuses fois dans le parc Santa Catarina. Il se plaçait à chaque fois au centre du parc, devant un piédestal où jadis trônait le buste du « poète national » guatémaltèque José Batrès Montufar, disparu, volé. A la place, notre sculpture, que nous nommons « Yo pienso en ti » du nom du poème de J.B. Montufar connu de toutes les classes sociales au Guatemala et déclamé plusieurs fois, dont par M. de Leon Cifuentes. Il débute ainsi :

« Yo pienso en ti

Tu vives en mi mente »

« Je pense à toi

Tu vis dans mon esprit »

 

Quelque part, les deux sculptures disparues dialoguent.

 

Scénario imaginaire 4 : Ma maison ma misère ?

Ma maison ma misère ?

Fin de fête de démontage à Valparaiso, Jorge et d’autres « habitants de la place » plus ou moins à la rue dansent récupérant les fils.

A l’issue de la fête Jorge a un panier plein de fils et le coeur lourd d’un dernier jour. Nous allions partir, il insiste pour nous montrer son chez lui, à deux pas de la place. Un terrain vague au cadenas cassé, une cabane de bois, plastique, tissu récupérés. Ils y vivent à deux.

A l’intérieur, ces guirlandes de lampions colorés, une chaîne hi-fi et un ordinateur bricolés. Des déclarations, sur la vie la misère l’alcool qui réchauffe et empêche de sombrer. Une volonté contrariée d’arrêter de boire, d’un Jorge qui viendrait derrière sa propre épaule pour, d’une main sur le coeur et d’un regard serein, enjoindre le Jorge flou d’ouvrir les yeux.

« Abre los ojos » « Ouvre les yeux » c’est une jeune artiste graffitera de 18 ans, Gyna Choconta, qui l’a écrit sur un papier et accroché aux fils à Bogota. Sa première interprétation est de « dénoncer la  corruption des puissants, des politiciens qui font ce qui les arrangent sans tenir compte des opinions des gens considérés comme ignorants et stupides ». Sa seconde interprétation : « le monde est tel que je veux le voir. Nous pouvons arriver sur la lune, voir le monde à l’envers parce que tout n’est pas comme le dicte une autre personne. »

Sur la cabane, un tableau de Brasilândia, Sao Paulo. Les enfants le découvrent lors du réseau en fil, et l’observant longtemps ils voient ses yeux s’ouvrir.

 

A partir de 2029, Jorge anime un workshop avec les étudiants de l’école d’architecture et de design de Valparaiso sur le thème « ma maison ma misère ? ». Les étudiants viennent ouvrir les yeux dans le terrain vague, où la cabane évolue vers du dur et où les graffitis recouvrent les murs.

 

Scénario imaginaire 5 : A pas de géants

A pas de géants

L’image commence par des ombres

L’ombre de nos mains sur le mur d’une maison au Pérou

L’ombre de deux participants sur le mur d’une maison au Costa Rica.

Les deux ombres sont ici interverties.

Deux hommes sur échasses : l’un du Costa Rica, l’autre du Pérou, sont au milieu de la même route, unissent les deux mondes, droite périphérie de Lima gauche centre-ville de San José.

Deux mondes si éloignés, le barrio Amon est historiquement celui des villas des propriétaires de plantation de café, au début du XXème siècle, tandis que Comas est un quartier occupé depuis les années 1960 par des villageois pauvres arrivant à Lima. Le bâtiment de gauche est une galerie d’art avec fresque murale, celui de droite une maison inachevée de briques brutes. Hors champ à gauche, une végétation luxuriante, tropicale et le chant des oiseaux. Les arbres visibles à droite sont recouverts de poussière.

Lors de notre voyage, nous sommes passés directement de l’un à l’autre, éprouvant l’abîme entre les deux lieux.

L’union par les échasses tient au fait qu’à Lima nous étions invités pour un festival de théâtre populaire où il y avait une parade d’échasses donc les échassiers sont intervenus avec les fils le premier jour.

A San José, c’est un danseur qui est à la fois acrobate qui nous proposa de venir avec des échasses pour la parade du dernier jour.

Ainsi les deux échassiers n’ont que 6 jours d’écart.

 

2033 : les géants viennent ensemble relever les fils de tous les réseaux en fil trop bas pour les camions. Les bus, nos ombres monstrueuses et les éléphants aussi peuvent passer et les fils foisonner de fenêtre en fenêtre, de balcon à balcon…

 

Depuis le début de notre périple, le poète aux semelles de vent nous accompagne avec ces quelques vers :

 

J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ;

des guirlandes de fenêtre à fenêtre ;

des chaînes d’or d’étoile à étoile, Et je danse.

Arthur Rimbaud, Illuminations